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Photo du rédacteurBenjamin Mathieu

"C'est Le Moment" fête ses un an avec Julia Cagé

Dernière mise à jour : 8 nov. 2023

Pour le premier anniversaire de notre émission de radio, marquant le début de l'aventure Le Moment, nous avons convié l'économiste Julia Cagé, spécialiste en économie des médias. Avec l'association Un bout des médias dont elle est la présidente, elle suit notre développement depuis le tout début de l'aventure.


Interview de Benjamin Mathieu



Professeure et chercheuse au Département d’économie de Sciences Po, Julia Cagé a reçu le prix du meilleur jeune économiste 2023. Elle est l'autrice de nombreux livres sur l'économie des médias et la démocratie, ses deux sujets de prédilection. A travers l'association Un bout des médias dont elle est la présidente, elle soutient le développement d’une presse libre et pluraliste et d’une information éthique. A ce titre, l'économiste suit depuis le début l'avancée de notre média, Le Moment, bien avant la production de notre première émission en novembre 2022. Nous lui avons proposé de fêter avec nous le premier anniversaire de "C'est Le Moment", notre émission d'actualité hebdomadaire, ainsi que la reconnaissance de notre média comme service de presse en ligne annoncée par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) il y a quelques jours.


Benjamin Mathieu : Je sais que ton agenda est très chargé avec la sortie du livre Une histoire du conflit politique, co-écrit avec Thomas Piketty, qui rencontre un grand succès, donc merci de nous accorder un peu de temps. Que t'inspire notre premier anniversaire ?


Julia Cagé : Déjà toutes mes félicitations car vous avez vraiment tenu le coup, vous avez réussi à monter un projet super ambitieux et vous l'avez fait tenir. Vous l'avez prolongé pendant un an et, de ce point de vue, je suis assez admirative, car cela période n'est vraiment pas propice pour lancer des médias alternatifs. Il y en a beaucoup, il y a plein d'initiatives, il y a plein d'idées, plein d'énergie mais il y a des problèmes assez récurrents, notamment de financement de médias indépendants. Quand on ne veut pas dépendre des grands milliardaires, il faut trouver des ressources différentes, et ce n'est pas toujours facile. Ce n'est pas toujours facile non plus de recevoir des dons, de convaincre de nous financer, et vous avez réussi à le faire. J'espère que ça va durer, donc je souffle avec plaisir cette première bougie avec vous, et j'espère qu'il y en aura plein d'autres.


Une nouvelle association va bientôt voir le jour avec le soutien d'Un bout des médias. Ça s'appelle "l'Observatoire français des atteintes à la liberté de la presse" et ce sera lancé le mois prochain. Est-ce que tu peux nous expliquer en quoi consiste cette nouvelle structure ?


"Elle va chapeauter plein d'associations qui se battent pour l'indépendance des médias existantes. Il y a notamment Un bout des médias, il y a Informer n'est pas un délit, il y a Stop Bolloré, et plein d'autres. L'idée derrière ça, c'est d'être très attentif à aux nombreuses attaques qui pèsent sur la liberté d'informer, c'est le cas d'actionnaires interventionnistes comme on l'a vu récemment au JDD, un vrai cas d'école. D'ailleurs, il y a une nouvelle autre association qui se crée que je voudrais vraiment saluer, Article 34, par les anciens journalistes du JDD qui ont fait une grève de 40 jours pour se battre pour leur indépendance. Il y a d'autres attaques sur la liberté de la presse qui viennent aussi des pouvoirs publics. Je pense qu'on a suffisamment parlé de toutes les implications de la directive sur le secret des affaires. Il y a toute la problématiques aussi du secret des sources, on l'a vu encore récemment avec la journaliste Arianne Lavrilleux qui a été mise en garde à vue. Et son domicile a aussi été perquisitionné pour l'empêcher de pouvoir protéger ses sources.


Il y a encore beaucoup à faire aujourd'hui pour préserver la liberté de la presse. C'est pour ça qu'avec Un bout des médias, on développe et on met en place une mission de de plaidoyer. Plus on se met ensemble, plus on est forts. C'est un peu comme les médias indépendants, et c'est un peu ce que vous faites aussi au sein du tiers-lieux Césure dans lequel vous êtes installés. Il faut à la fois qu'il y ait plein d'initiatives différentes, qui font bouillir les énergies, et c'est bien aussi qu'on se retrouve un peu de de temps en temps, pour se serrer les coudes et réfléchir tous ensemble. C'est ce qu'on va essayer de faire avec cette nouvelle association.


65 médias indépendants vont se retrouver le 30 novembre aux États généraux de la presse indépendante. Le Moment et Un bout des média y seront. Une initiative qui est née à la suite du lancement des très officiels États généraux de l'information lancés débuts octobre à l'initiative d'Emmanuel Macron. Pourquoi son initiative reçoit un accueil mitigé de la profession et des syndicats de représentants des journalistes ?


Le fait que ça descende en direct de l'Élysée n'est pas forcément la meilleure manière d'avoir une réflexion apaisée sur l'indépendance des médias. Surtout, c'est mon point de vue personnel, mais je trouve c'était une manière pour le gouvernement, la ministre de la Culture de ne rien faire dans le cas du JDD face aux attaques qui ont lieu cet été. Il y a un certain nombre de députés de tout bord politique qui ont appuyé une proposition loi transportable déposée pour garantir un droit de veto sur le choix du directeur ou de la directrice de la rédaction d'un journal.


Cette proposition de loi existe, mais ça pourrait très bien être acté avec un simple décret. Cela aurait pu venir du ministère de la Culture pour préserver l'indépendance des journalistes, or il ne l'a pas fait. Le gouvernement a renvoyé le problème à plus tard, en disant on va faire des États généraux de l'information, et on verra bien. Il les avait promis depuis plus d'un an. Cela fait un an qu'on aurait pu se saisir de ce sujet, et c'est désormais trop tard pour le Journal du dimanche.

Le second problème, ce sont les groupes de travail. Ils ont dit qu'ils ne voulaient pas du tout de personne morale, mais que des personnes physiques, donc pas d'associations de défense de la liberté de la presse.


Si vous faites des États généraux de l'information et que vous ne prenez pas les associations qui bossent pour l'indépendance des médias, que vous ne prenez pas les sociétés des journalistes etc, que vous ne prenez que des personnes physiques dont on ne sait pas forcément comment elles ont été choisies, c'est problématique.





Il y a quand même quelques députés de la majorité qui on soutenu la rédaction du JDD mais, effectivement, le gouvernement et Emmanuel Macron, personnellement, ne l'ont pas fait.


Des députés de la majorité ont signé la proposition de loi transpartisane, et je les applaudis. Il y a même des députés Les Républicains. J'espère juste que, plus tard, ils auront souvenir d'avoir pris ces engagements en faveur de l'indépendance des médias. Aucun d'entre nous n'a intérêt à penser que ces États généraux vont être un échec parce qu'on n'est pas contents des conditions de leur mise en œuvre.


Le problème, c'est de savoir ce que deviendront les propositions au final, comme la convention citoyenne pour le climat par exemple qui a accouché finalement de très peu de choses de manière législative malgré des propositions très intéressantes qui n'ont pas été retenues par le gouvernement.


C'est encore pire d'une certaine manière parce que c'est beaucoup moins citoyen, beaucoup plus officiel. C'est vrai qu'on sait pas ce qui va en être retenu. Si encore il y avait eu des engagements. Par exemple : pou chaque groupe de travail, vous avez trois propositions qui seront reprises telles quelles dans un projet de loi déposé par le gouvernement. Pourquoi pas ? Mais à partir du moment où l'on ne sait pas ce qui va en sortir du tout, il y a quand même un peu la peur d'être instrumentalisé. Pour moi, ces questions me semblent trop importantes pour être instrumentalisées et, encore une fois, j'ai l'impression que c'est utilisé par le gouvernement pour ne rien faire pendant les 8 ou 10 prochains mois. Sauf que pour plein de médias, on n'a pas huit ou dix mois à attendre. Regardez ce qui se passe au sein des différents magazines du groupe Prisma, regardez ce qui se passe encore aujourd'hui à intervalles réguliers à Cnews utilisée de plus en plus comme une chaîne à des fins de propagande politique. L''urgence, elle est là, elle est présente, elle est actuelle. On ne peut pas se dire qu'on va traiter le problème dans un an.




Pour revenir sur ce que tu dit sur les Etats généraux de l'information, j'ai lu sur leur site internet qu'il y aura beaucoup de concertations des citoyens. Ils veulent que ça soit associé au maximum avec les "citoyens". Il y aura par exemple un tour de France, ils vont aller à la rencontre des gens, des auditeurs, des lecteurs...


C'est supervisé par Christophe Deloire, de Reporters sans frontières. C'est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup de respect qui a fait un très un très bon travail avec RSF. Je pense qu'il va faire de son mieux. Encore une fois, on a tous intérêt à ce que ça ça marche au mieux, mais je ne suis pas ultra optimiste.


Dans le cadre des États généraux de la presse indépendante le 30 novembre prochain, la question du poids de la publicité qui influence les lignes éditoriales, les moyens de pression des annonceurs, les modèles économiques compliquées du secteur seront abordés. Sur ces points, tu as fait plusieurs propositions originales.


Le marché de la publicité est en baisse. Il a vocation à diminuer, voire disparaître, y compris pour la presse papier. Si je prends l'exemple le plus significatif, d'une certaine façon, presque caricatural, celui du New York Times. Historiquement, il dépendait jusqu'à 90 % du total de ses revenus de la publicité. Aujourd'hui, on est autour de 45 %. Tu as d'un côté un effondrement des revenus publicitaires et de l'autre des revenus qui sont presque entièrement capturés par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). On ne s'en sortira pas. Il faudrait plutôt réussir à penser de toute façon un futur pour les médias sans publicité.


Il faut explorer les modèles uniquement basé sur des abonnements, des modèles qui soit plus coopératif avec des dons. J'ai proposé, et je ne suis pas la seule, ça va sans doute être testé en Californie, de donner à chaque citoyen un certain montant qu'il pourrait correspondre aujourd'hui au montant des aides à la presse. Chaque citoyen aurait un certain montant qu'il pourrait allouer aux médias de son choix, et c'est vachement intéressant. Il faut penser ces modèles alternatifs, mais je pense que, dans un monde idéal, si on pouvait avoir des modèles économiques sans publicité, ça serait mieux. L''information est un bien public comme un autre. De toute façon, il faut sortir de la seule logique du marché. Cela ne veut pas dire de n'avoir que des médias publics, mais les médias privés pourraient être financés par des moyens alternatifs, y compris des dons et des subventions publiques beaucoup plus conséquentes que ce qu'on a aujourd'hui. Il faut aussi arrêter de faire dépendre les aides publiques de la bonne santé des médias concernés.


Retrouver l'intégralité de cette entretien ici :







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