L’activiste de 24 ans a co-organisé au sein des « Soulèvements de la terre » la manifestation du 25 mars dernier contre les bassines en Poitou-Charentes, qui a fait de nombreux blessés. Depuis, le collectif a été dissous en Conseil des ministres, une décision contestée par le mouvement devant le Conseil d'Etat qui rendra sa décision le 8 août prochain. L'occasion de publier cette interview de Benjamin Mathieu pour Le Moment quelques jours avant cette manifestation où policiers et manifestants se sont très violemment affrontés.
Crédit photo : Eric Nocher
Benjamin Mathieu :
C’est votre première fois à l’Assemblée nationale ? Vous n’êtes pas impressionnée par la symbolique du lieu ?
Léna Lazare :
Non, c'est la troisième fois que je viens. J’étais déjà venu pour présenter le pacte finance climat avec une délégation de scientifiques du GIEC. C'était une expérience un peu catastrophique parce que je me suis vraiment rendu compte de l'opposition frontale des parlementaires alors qu'on avait quelque chose d'assez objectif et consensuel à présenter. La deuxième fois, c’était en accompagnant Greta Thunberg. Et donc la troisième aujourd’hui pour cette conférence de presse sur la guerre de l’eau. J’ai l'impression que c'est plus consensuel d'inviter des scientifiques du GIEC, d'inviter des jeunes en grève pour le climat, que d'inviter des activistes qui se battent contre les mégabassines et qui porte des actions percutantes. On a quand même été qualifiés d’éco-terroristes par le ministre de l’Intérieur ! Donc cette fois, c’est beaucoup plus fort d’être là.
En tant que membre du mouvement des « Soulèvements de la terre » qui l’organise, comment voyez-vous se dérouler cette manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline (l’interview s’est déroulée quelques jours avant le rassemblement, prévue le 25 mars) ? Craignez-vous des violences, la manifestation ayant été interdite par la Préfecture ?
Les militants écologistes sont de plus en plus criminalisés. On ressent la pression sur nos épaules. Ça fait un an et demi que nos manifestations sont interdites. On pense se battre pour un sujet vital qui est l’eau, forcément ça provoque beaucoup de colère donc on est très déterminés à manifester, on ne va pas lâcher. Mais en face, il y a des dispositifs policiers qui sont quand même assez importants et malheureusement la dernière fois, on a quand même eu à déplorer une soixantaine de blessés. C'est toujours difficile quand on organise une mobilisation de savoir qu'il y a des personnes qui sont à l'hôpital parce qu’elles y ont participé. Mais j'ai l'impression qu'on s’est plutôt bien préparés donc je n’ai pas particulièrement peur de ce qui va se passer. Dans tous les cas, il y aura probablement des blessés et c'est intolérable que ça se passe comme ça, que nos manifestations soient interdites.
C’est un peu la même question concernant les manifestations actuellement contre la réforme des retraites. Considérez-vous que comme, selon vous, votre combat est légitime, les débordements le sont aussi ?
Cela fait 50 ans que nos dirigeants mènent une politique anti-écologique spécifiquement sur le cas des bassines. On a un peu tout essayé, il y a eu des mobilisations de masse, il y a même des bassines qui ont été jugées illégales, on a des rapports scientifiques qui disent de manière unanime qu'elles vont aggraver la sécheresse. On est obligés de passer à des actions de désobéissance civile, on a épuisé tous les moyens légaux. Je trouve ça fou qu'on puisse interdire des manifestations dans ce pays. Défendre l’eau, ça me semble être un droit assez fondamental et là c'est interdit. Et pour des raisons éminemment politiques parce qu’ils ne veulent pas de contestations contre ces projets qui sont fortement appuyés par l'État depuis nombreuses années. Je pense que la désobéissance civile est légitime, on se bat pour pour rester sur une planète viable, pour défendre le vivant. Ça me semble important de pas de pas se limiter aux moyens légaux même si je pense qu'on aimerait qu'ils soient suffisants. C'est intéressant de se rendre compte que nos adversaires désobéissent tout le temps à la loi. Cinq mégabassines ont été jugées illégales et elles sont toujours en fonctionnement. On se retrouve face à décisions de justice qui ne sont pas respectées. Dire que c’est nous qui sommes le plus hors-la-loi, ce n’est pas vrai.
Crédit photo : Eric Nocher
Le sixième rapport du GIEC vient d’être publié. Au vu de l'urgence du réchauffement climatique et l'alerte scientifique, est-ce que vous vous sentez parfois abattue ou est-ce que ça vous donne un surcroît d'énergie pour continuer vos luttes ?
Il y a forcément des moments où j'ai été assez abattue. Au moment du pic des mobilisations des marches pour climat (elle était porte-parole du mouvement « Youth for Climate »), quand on séchait les cours tous les vendredis et qu'on faisait des actions de désobéissance civile, ça a été le cas. On avait beaucoup d'attentes sur ce que pouvait produire ce mouvement et j’avais l'impression que ça ne se débloquait pas trop au niveau institutionnel. Ensuite, je me suis rendu compte qu’il fallait davantage amplifier le rapport de force, que des victoires étaient possibles avec des luttes qui sont plus ancrées territorialement, ca m’a remobilisée. C'est ça que j'ai surtout envie de médiatiser, de montrer aux gens qu'ils ont du pouvoir sur leur vie et que c'est possible d’avancer; qu’on peut avancer vers une société plus juste écologiquement.
Comment avez-vous vécu le débat parlementaire concernant la réforme des retraites et la motion de censure évitée de justesse par le gouvernement, à 9 voix près. Comment voyez-vous la qualité de notre débat démocratique actuellement ?
Je trouve que assez parlant ce qui se passe avec ce débat. On se rend compte que lorsqu'on veut contester quelque chose, que ce soit localement ou à une échelle nationale, on se retrouve face à des murs. Pour moi le système institutionnel actuel est totalement verrouillé et il nous permet pas du tout de répondre aux grands enjeux écologiques et sociaux qu'on se pose. J’ai l'impression qu'en tant que citoyen, on n'a pas notre place. Voter tous les 5 ans, ça ne permet pas du tout de trouver des solutions aux problématiques auxquelles on fait face et c'est pour ça aussi que là, que je suis vraiment dans cette dynamique où j'essaie de faire advenir les choses par moi-même quitte à être perçue comme assez radicale, quitte à démanteler des ouvrages comme les bassines. J'essaie vraiment de faire les choses par moi-même. Reprendre des terres, c'est aussi dire que j'arrache des terres à l’agro-industrie, on se réapproprie des moyens de subsistance de façon collective. Je pense qu'il faut des bouleversements tellement grands qu'on ne peut pas trop compter sur la voix institutionnelle.
Comment est-ce que tu vois le monde économique ? Est-ce que ce sont des gens à combattre ou est-ce que ce sont des gens à embarquer ?
Comme beaucoup d’activistes, je pense que le problème réside dans le capitalisme et notre économie productiviste. Il y a aussi toute la question du pouvoir dans le système économique. Pour moi, il faut sortir de ça étant donné qu'il faut faire décroître nos émissions. On le voit justement avec le scénario du GIEC. Avec la trajectoire actuelle, on va vers des bouleversements qui sont vraiment beaucoup trop importants et qui mettent en péril la survie d'une grande partie de l’humanité. Ça a été pointé par plein de scientifiques. S’il faut décroître nos émissions, il faut bien qu'il y ait une forme de décroissance même si je comprends que ce mot fasse peur à certaines personnes. Pour moi, il faut se reposer la question de quels sont nos besoins dans cette société et de la manière dont on y répond. Tout est interconnecté, les questions écologiques, les questions démocratiques et les questions économiques. Avec une société réellement démocratique, avec plus de pouvoir en local, je pense qu'on peut y arriver.
Le 25 juin, à Sainte Soline, policiers et manifestants se sont très violemment affrontés. Des experts des Nations Unies ont depuis exprimé leur inquiétude face aux allégations d’un usage excessif de la force ce jour là par les forces de l'ordre.
Crédit photo : Les Soulèvements de la terre
Imaginez que vous êtes invitée dans un salon sur la responsabilité sociale des entreprises, où des firmes viennent présenter leurs actions pour diminuer leur empreinte environnementale, vous leurs dites quoi ? Que leur modèle est obsolète, qu’ils doivent arrêter leur activité ?
J’ai conscience que ce n’est pas simple mais j'ai l'impression que la plupart des efforts qui peuvent être fait en RSE vont juste contribuer à une dynamique de « greenwashing ». On a fait quelques petits efforts sans changer globalement. En fait le but d'une entreprise, pour continuer à fonctionner, c’est de continuer à exploiter de plus en plus le vivant dans une logique de croissance. L’économie est destructrice. La mère d’une amie dirige le département RSE d’un grand groupe d’énergies extractives, elle a du mal à entendre et comprendre ce que je lui dis.
C’est une question de génération selon vous ?
Je ne pensa pas. Il y a des jeunes qui sortent d'écoles de commerce, qui ont mon âge et qui vont être responsables RSE. Il y a beaucoup de jeunes qui sont un peu perdus face à ces enjeux et qui se disent qu’ils vont changer les choses de l’intérieur. On a parlé des institutions mais c’est la même chose dans les entreprises, c'est extrêmement compliqué de changer les choses de l'intérieur surtout dans des grands groupes. Je pense qu'il faut tout revoir et que et que si on veut réellement se battre à l'intérieur d'une entreprise, il faut demander des choses radicales, pas se contenter de faire petit pas par petit pas. Ça alimente juste l'idée qu’un capitalisme vert serait possible. Pour moi, on doit travailler pour subvenir aux besoins d'une population collectivement et donc il faut totalement repenser la manière dont on organise le travail. Peut-être que je vais paraître trop cliché mais je pense qu’il y a beaucoup d'entreprises qui existent aujourd’hui qui ne devraient plus exister. Il y a plein d'activités économiques qui pour moi devraient cesser leur activité ou en tout cas se reconvertir, faire d'autres choses. Par exemple, si on est responsable RSE chez Total, qu'est-ce qu'on va dire : « ok il faut investir plus dans les énergies renouvelables ?! »
Et vous leur proposer quoi du coup, de fermer leurs portes ?
Je suis d’accord que je n’ai pas de solutions concrètes à proposer à ces gens, à part quitter leur job. Bien entendu, quelqu'un qui bosse dans une toute petite PME, c’est pas la même chose. Il y a peut-être plus la question de « est-ce qu'on recherche du profit ou pas » parce que c'est vrai que moi typiquement, l'année prochaine, je vais peut-être m’installer dans une ferme collective et peut-être que je vais être en croissance la première année parce que je vais vendre de plus en plus de légumes.
Mais la fin du capitalisme que vous proposez, c’est un projet très lent à mettre en place ? Ça ne peut pas se faire du jour au lendemain...
Oui mais c’est une adaptation et donc en l’occurrence, les entreprises doivent faire leur part. En fait, je pense que des entreprises qui recherchent le profit en détruisant le vivant n'ont pas de rôle à jouer. Enfin à moins de se remettre en question profondément. J'ai un bon exemple, je discutais avec avec des amis qui se battent à La Clusaz en Haute-Savoie contre l'industrie du ski. Les entreprises du secteur savent pertinemment que dans 10 ans il y aura plus de neige sauf que leur réflexe, c'est de se dire, on va continuer à accumuler le plus de capital possible jusqu’à épuisement de la ressource. On fait d’abord de l’argent, ensuite on pensera à une reconversion. C'est très parlant, je trouve. La raison d’être de la plupart des entreprises, c'est de faire le plus du de profit possible. Et on l'a démontré, il y a vraiment un lien entre la croissance économique et la destruction du vivant. Quand on parle de développement durable, moi je n'y crois pas.
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