Depuis l'épisode des gilets jaunes, la fin du mois résonne avec la fin du monde et la justice sociale avec l'urgence environnementale. Nous voyons cela dans les manifestations, dans les médias, dans les conférences et les discours. Nous le voyons surtout à gauche, mais pas que, car partout même aux extrêmes, les deux fins se succèdent, se chevauchent et s'enlacent et beaucoup s'alarment des atteintes irrémédiables à la nature, celle verdoyante, des arbres et fleurs, celle des écosystèmes. Ils savent c'est de la nature des choses dont il est question, et donc de notre propre nature.
Fin du mois, fin du monde, même combat ? Cette correspondance est-elle correcte ? Est-ce une réalité ? Un mensonge ? L'horizon de la lutte ? Que pense le « peuple » de l'écologie, le « Jojo », selon l'expression du président Macron, le « sans-dent » selon l'expression du président Hollande, qu'en pense le prolo ? Que pense-il de la fin du monde ? Que pensent ces femmes et hommes, jeunes et vieux, dans les barres des banlieues ou dans les places de villages ? Que pensent les habitants des grands ensembles périphériques ? Ceux des zones pavillonnaires ou rurales, inondées ou pas, dans ces territoires de France, perdus ou pas, qui n'ont d'autres marqueurs que d'être dans la diagonale du vide et aux premières loges de cette apocalypse des services publics et du lien social ? Eh bien, après des années d'immersion je peux vous le dire, ils pensent d'abord à avoir du carburant pas cher pour aller à ce boulot qui va remplir ce frigo, de plus en plus souvent à changer.
Et ainsi dans la salle du bar tabac de la rue des Martyrs :
« Il y a un arbre que l'on coupe sur la place, c'est nul, où est Thomas Brail ? »
« L'eau est montée jusqu'à l'entrée de l'église cette année. »
« On s'en fout »
« Comme de ton dernier bilan carbone »
« Les abeilles, ça pique ! »
Il n'y a pas d'écologie populaire. La fin du mois résonne avec Hanouna et pas avec l'ESS.
« Fin de mois, fin du monde, même combat » : chimère pour pour le populaire.
Quant au système, le néo-libéralisme le sait, il donne l'illusion, seule la fin du mois l'importe. La machine doit continuer à fonctionner. Il a un voile pudique sur la fin du monde, mais au final, il s'en fout. A chaque calamité son intérêt financier. Kardashian is the new Keynes et le bilan comptable est le livre sacré ! L'économie sur laquelle nos sociétés sont basées ne se soucie pas de l'habitabilité de notre planète, de la bonne vie et du bien vivre, de l'émancipation et de l'épanouissement de chacun. Bref, du long terme. Tout va bien car rien ne bouge, et même si je suis daltonien, le ciel ne devient pas rouge.
Cette inaction funeste dessinent des lignes de conflits pour avoir une société vivable, elles s'annoncent cruelles, et se forment toujours de la même façon, laissant l'oxygène passer dans les niveaux supérieurs, là où est l'argent, le capital et la rente.
Les conséquences seront d'abord et en premier, sur le français lambda, sur celui qui pense à avoir du carburant pas cher pour aller au boulot demain et aller chez mac do avec ses gosses samedi. Là est l'injustice.
Comment remettre l'économie à sa place et ce monde à l'endroit ? Pour changer la façon de faire, de compter et d'être au monde. Comment demander à des personnes qui n'ont rien de décroître ?
« En s'appuyant sur un peuple qui consomme différemment». Rue des martyrs encore, la sagesse des anciens aussi.
Le penseur grec Cornelius Castoriadis voyait en pré-requis du déblocage des esprits l'obligation de « déconfiner les imaginaires ». Ça ne veut rien dire rue des Martyrs.
Comme Bruno Latour, je soutiens que l'écologie est la nouvelle lutte des classes.
Frédéric Ghiglione
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