C’est sous un grand soleil et dans un air glacial que des jardinier·es bénévoles se sont retrouvées en ce samedi de novembre. La bonne humeur est de mise pour la Haie Pride à Saint Beauzile, dans le nord du Tarn. La première édition de cet évènement souhaite sensibiliser à l’importance des haies tout en y ajoutant un clin d’œil à la culture queer.
Reportage de Pauline Henry
Il est dix heures, pour certain·es, la matinée commence doucement autour d’un café, tandis que d’autres s’affairent à peaufiner la grange des jardins du ChaPo. Un plan des jardins maraîchers au cœur de la journée et une exposition sur l’usage des fagots viennent progressivement peupler les murs. Une jeune femme aux cheveux bleus ajoute à la bilibliothèque éphémère un tas d’autocollants à prix libre, le premier de la pile revandiquant “God save the queer”.
Yacine, emmitouflé dans une épaisse veste noire et dorée, relate l’origine du projet :
"Je me suis intéressé à la haie après avoir passé des heures à ramasser des jeunes pousses de prunelliers sauvages avec Marlène, mon alcoolyte avec qui je me suis lancé à faire des apéritifs et des spiritueux. On a voulu tisser un lien de l’alambic à la plante, pour redonner ce que je prélève pour mon entreprise. De là, j’ai voulu essayer de fédérer les personnes autour des haies, dans une optique de partage de connaissance et de découverte de ses pratiques ancestrales et menacées. L’idée c’est que c’est une première, mais que l’on va pouvoir construire une communaut‘haie, pour créer des groupes et faire des designs de haies pour nos jardins.
Si j’ai proposé ce nom pour la journée, c’est surtout en hommage à la Gay Pride, qui est un moment fort qui me donne du pouvoir, quand je vois des gens qui revendiquent qui ils sont. Donc il y a plein de liens à créer ou à rendre visible, aussi pour attirer des personnes qui ne sont pas forcément familières des milieux agricoles. C’est aussi pour renouer avec le fait de montrer qu’aujourd’hui il y a un côté très militant à planter des arbres et haies, en particulier quand on voit les arrachages à la chaîne dans le sud du Tarn, pour le projet de l’autoroute A69."
Peu visibilisées, les personnes queer sont pourtant présentes dans tout les milieux, y-compris dans les campagnes. Créer des évènements autour de l’agro-écologie aux couleurs arc-en-ciel du drapeau LGBTQIA+, c’est rendre visible les existences lesbiennes, gay ou trans en milieu rural, et faire naître des imaginaires de villages plus inclusifs.
Moins colorées que pour la marche des fiertés, vêtements de travail oblige, les personnes venues prendre part à la plantation écoutent Sacha et Paolo (les prénoms ont été modifiés à la demande des intérressé·es, ndlr). Les premières gelées font craquer l’herbe sous les bottes des deux maraîcher·es enthousiastes qui vivent et travaillent ici. Cela fait deux ans qu’iels ont investi leur terrain, et les planches de légumes ont déjà fière allure.
"Nous on aimerait bien créer ce qu'on appelle des jardins maraîchers", explique Sacha, "donc on aimerait bien implanter des arbres, que ce soient des champêtres ou des fruitiers, dans les cultures maraîchères. Du coup nos entre-jardins vont nous servir à implanter les haies champêtres, et à l’intérieur des jardins, qui sont en fait composés de douze planches, on va utiliser les deux planches du centre pour faire une grosse haie fruitière. De cette manière il n’y aura que 6 planches de cultures entre chaque haie, de manière à avoir un jour une canopée qui nous fait de l’ombre un petit peu partout. Chaque jardin aura un peu son fruit, même si on va travailler avec des associations de végétaux comme on le fait déjà sur toutes nos cultures. Nous on est en bio, faire des haies, c’est faire en sorte de créer pleins d’abris, pour plein d’espèces, pour autoréguler les ravageurs qu’on a dans les champs, en plus de permettre de casser les vents et d’apporter plus d’humidité."
Outre les nombreux avantages des haies pour les agriculteur·ices, celles-ci ont aussi des avantages à l’échelle écosystémique. Elles permettent de stocker du carbone, de réguler l’eau et participent de la biodiversité. Elles sont malgré tout en voie de disparition. Si, pendant longtemps, elles quadrillaient les paysages ruraux, il est facile de constater leur déclin, voire leur absence, dans la majorité des territoires agricoles d’aujourd’hui. Et pour cause, depuis 1950, c’est 70 % des haies du territoire qui ont été rasées, selon une étude récente du ministère de l’agriculture. En cause, les politiques ayant incité à l’agrandissement des parcelles, lors de campagnes de remembrement, mais aussi à la mécanisation. En effet, les arbres et les haies compliquent le passage des tracteurs et l’automatisation des travaux agricoles. Et malgré les constats alarmants des instances scientifiques et les discours s’accordant sur la nécessité d’entamer une transition écologique, on observe une accélération de la destruction des haies, avec en moyenne entre 2017 et 2021, 23 500 km/an qui disparaissent.
"Depuis 1950, c’est l’équivalent de plus d’un aller-retour et demi sur la lune de linéaire de haies qui a disparu !" précise Yacine, à l’initiative de la journée.
En contrebas des jardins, des sillons de sol travaillés suivent les courbes de niveau du terrain de façon harmonieuse, face aux vents dominants. C’est ici que des haies seront plantées l’après-midi. La visite du terrain se poursuit par un passage par les serres où patientent les plants, issus principalement de récoltes champêtres, de semis maisons et de boutures. Un détour par la mare qui approvisionne en eau les jardins lorsqu’elle est pleine et nous voilà face à la haie sèche. Le principe a de quoi surprendre, la haie sèche, ou haie morte, ressemble pour le moment à un amas de branchages entre deux piquets. L’enjeu ici, outre l’aspect paysager de séparation de parcelle, réside dans la création spontanée d’un écosystème, les mammifères et insectes ayant trouvé refuge ici pourront charrier des graines, qui prendront racine sur la matière végétale décomposée. Le tour se termine et c’est Chiara qui prend la parole, après s’être assurée en rigolant de l’attention de l’auditoire, et pour cause, il est midi passé, et le menu vient d’être affiché. Ainsi, avant l’arrivée du pesto de plantain et des beignets de blette, cette artiste récemment reconvertie explique son travail de pépiniériste, de la récolte de graines sauvages à la vente de plants.
Le soleil décline vite à cette période de l’année, et ce sont les couleurs chaudes de l'après-midi qui accompagnent l’élan de joie et de fierté que mettent les participant·es dans leur plantation. Ghaie, lhaiesbiennes ou non binhaieres, tout le monde se joint pour décompacter le sol et pailler les jeunes pousses.
Passage de grelinette puis paillage, les bras s’activent sous la lumière descendante de l’après-midi.
L’enjeu des haies est national et touche toutes nos campagnes. L’exemple en sera fait durant la soirée, lors de la diffusion du film Les agités du bocage, un documentaire de Thomas Yzebe, dans le cadre du festival Alimenterre. Emmitouflé·es dans des plaids, agglutiné·es dans la grange, les Tarnais·es écoutent avec attention le récit de la lutte en faveur du maintien du bocage avesnois, à la frontière avec la Belgique. Ici et là, des citoyen·nes se battent pour la sauvegarde des haies, élément à part entière de nos milieux de vie et joyaux de biodiversité. En s’opposant à leur destruction, c’est tout un système qu’iels remettent en cause, celui d’une politique agricole qui pousse à la rentabilité et à l’expansion, en dépit d’un effondrement de la diversité du vivant de plus en plus palpable.
Ainsi, planter des haies est un acte militant. Et il y a besoin de tout le monde pour s’emparer de ce sujet, croiser les cultures queer, qui ont su faire du militantisme une fête, à l’image des marches des fiertés, chose qui est peut-être moins commune pour les mouvements écologistes, réputés austères. Mettre des paillettes (sans micro plastique) et de la musique électro pour planter des haies, danser pour se réchauffer dans une grange après un ciné-échange, amener des mondes et des cultures différentes à se côtoyer pour travailler ensemble à la réparation des terres ravagées, sont autant de pratiques collectives, festives et colorées à construire dès aujourd’hui. Le rendez-vous est donné pour l’année prochaine, d’ici là, les citoyens et citoyennes réunies samedi entendent bien développer et consolider les liens de leur communaut’haie !
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