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La journée de 6h fait (en partie) ses preuves

Alors que l'Espagne teste actuellement la réduction du temps de travail sans baisse de salaire, et que le Luxembourg y réfléchit, après un rapport mis sur la table par le ministre du Travail Georges Engel, d'autres ont déjà franchi le cap. À Göteborg, travailler moins n’est pas une utopie : 30 heures par semaine (payées 40), c’est une réalité pour Jens, employé d’une plateforme d’assistance par téléphone. Un système gagnant-gagnant ?





La balade à vélo est un élément indispensable dans la journée de Jens. Et depuis quatre ans, il n’a quasiment jamais manqué ce moment privilégié. Il faut dire que sa journée de travail se termine à 14h00, ce qui lui laisse le temps nécessaire à son escapade avant la sortie des classes, où ses enfants l’attendent. Si ce Suédois installé à Göteborg termine si tôt, ce n’est pas parce qu’il a commencé aux aurores, mais tout simplement parce qu’il ne travaille que six heures par jour. 30 par semaine, payées 40. "Je ne commence qu’à 8h00 le matin, ce qui me laisse un peu de temps pour m’occuper de mes enfants, détaille-t-il. En sortant à 14h00, je peux aussi avoir un moment pour moi avant de les récupérer."


Depuis qu’il a pris ce poste dans une plateforme d’assistance par téléphone, Jens travaille donc moins longtemps, mais a conservé un salaire identique. Son entreprise fait partie des nombreux groupes privés engagés dans une démarche de réduction du temps de travail. Objectif : accroître la productivité des salariés tout en augmentant leur bien-être. Et la recette porte ses fruits. Cette compagnie d’assurance se targue d’avoir augmenté ses bénéfices chaque année depuis l’instauration de cette mesure, il y a cinq ans, avec des pics de +21 et +23% les deux premières années. « Je vois bien que je suis plus efficace qu’avant, lorsque je travaillais dans une autre compagnie d’assurance, huit heures par jour, constate Jens. D’ailleurs, les objectifs d’appels restent les mêmes, et je ne vois personne autour de moi qui ne parvient pas à les tenir. »


Rentable pour l’entreprise


Bien entendu, sa compagnie a dû embaucher pour combler les vides, mais financièrement, elle assure être bénéficiaire. D’une part, comme le souligne Jens, la plupart des salariés traitent autant d’appels qu’auparavant. D’autre part, la plateforme est désormais active plus longtemps, puisque deux équipes de six heures se succèdent, au lieu d’une seule, de huit heures. La productivité journalière a donc largement augmenté, et a entraîné de nouvelles marges. L’entreprise sort donc gagnante de cet aménagement. Quant aux salariés, ils en redemandent. "Bien sûr, le fait de travailler moins longtemps pour le même salaire est déjà une bonne chose en soi, mais il y a plus que ça", insiste Jens, alors que le soleil tombe sur les îles loin derrière lui. "Avec davantage de temps libre, ma vie est organisée différemment, et mon travail n’en est plus l’élément central, ou en tout cas moins qu’auparavant."


Jens n’est pas le premier à bénéficier d’une réduction du temps de travail, et à en constater les bénéfices. À Göteborg, le garage Toyota a initié le mouvement en 2002, avec un fonctionnement similaire et des résultats tout aussi probants : allongement de la durée d’ouverture, optimisation de l’utilisation des machines, augmentation de la productivité et avec elle, du chiffre d’affaires (+ 25% les deux premières années). Vingt ans plus tard, le système est toujours en place, et il plaît non seulement aux dirigeants, mais aussi aux salariés, faisant exploser l’attractivité de l’entreprise, et lui permettant ainsi de recruter de meilleurs mécaniciens. Et le cercle vertueux se poursuit.


Un modèle en expansion


En Suède, le modèle se répand. Les exemples sont nombreux, les témoignages se multiplient. L’un des derniers en date vient de la capitale. Linus Feldt, PDG de Fast Company, qui développe des applications à Stockholm, a adopté cette mesure l’année dernière. Comme ses prédécesseurs, il est désormais convaincu que travailler huit heures au lieu de six ne permet pas de produire davantage. "Je pense que la journée de huit heures n’est pas aussi efficace que l’on pourrait le penser, affirme-t-il. Rester concentré sur une tâche de travail spécifique pendant huit heures est un énorme défi. Pour y faire face, nous alternons les tâches et faisons des pauses pour rendre la journée de travail plus supportable."


Moins de pauses pour les salariés, alors ? "Moins de distractions, précise Linus Feldt. Moins de réunions, aussi. Nous les réduisons au strict minimum, afin que chacun puisse se focaliser sur ses missions concrètes." Fast Company, comme les autres entreprises ayant adopté ce mode horaire, se targue d’avoir fait chuter son taux de rotation dans les effectifs, grâce à des salariés heureux, et pas seulement au sein de l’entreprise. "Plus nous passons de temps au bureau, plus nous avons des difficultés à gérer notre vie privée en dehors du travail", ajoute Feldt. Rien d’étonnant donc, selon lui, à ce que ses salariés soient tout aussi épanouis à l’extérieur de ses murs.


Une ombre au tableau


Si la réduction du temps de travail semble faire l’unanimité dans le secteur privé, où elle a parallèlement créé des emplois, augmenté la productivité, le bien-être des salariés et les bénéfices des entreprises, son application dans le champ public se heurte encore à l’obstacle financier. Un hôpital, une école, une administration, ne vend pas un service et n’a pas pour objectif de faire exploser son chiffre d’affaires. Difficile, dans ses conditions, d’absorber le coût des créations de postes comme dans le secteur privé. À Göteborg, encore, la mairie a testé la formule, en 2014, dans une maison de retraite médicalisée dont elle a la gestion. Pendant un an, 64 aides-soignants sont passés à la semaine de 30 heures, payées 40.


Parmi eux, Carina Dahl, qui constate les effets bénéfiques : "Je gère huit chambres, et je suis beaucoup moins fatiguée qu’auparavant, ce qui me permet d’être plus alerte, plus efficace dans mes décisions et mes actions." Sa directrice ne cache pas sa satisfaction non plus. Pour preuve de l’amélioration des conditions de travail et du bien-être de ses salariés, elle souligne la chute du taux d’absentéisme depuis l’instauration de la journée de six heures. Des absences en moins qui ont fait économiser près de 30 000 euros à la commune.


Pour autant, la colonne des dépenses est minée par les quatorze embauches nécessaires au fonctionnement de la maison de retraite avec la réduction du temps de travail. Coût total de l’opération : 600 000 euros par an. Maria Ryden, maire adjointe à Göteborg au moment du test, expliquait que l’expérience ne serait pas prolongée en raison de ce chiffre, jugé trop élevé. "Cela coûte plus cher, c’est évident", concédait Daniel Bernmar, responsable du département des personnes âgées au sein du conseil municipal. Malgré tout, il reste un fervent défenseur de la réduction du temps de travail. "Plus nous devenons riches, plus nous avons besoin de tirer profit de cette richesse autrement qu’en cherchant à consommer davantage."


Si les effets positifs de la réduction du temps de travail apparaissent clairement dans les expériences menées en Suèdes, son coût ne peut être nié. Pour autant, la réponse des entreprises privées est claire : au bout du compte, l’opération est plus que rentable. Reste la question du service public, où la productivité ne compense pas nécessairement la charge, et où une telle mesure apparaît donc comme une décision politique forte. Pour les décisionnaires, la question est alors de savoir comment contrebalancer une telle dépense, quels mécanismes peuvent être enclenchés. Avec, en filigrane, cette interrogation : quelle priorité accorde-t-on au bien-être au travail ?

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