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La liberté de la presse est-elle en danger en France ?

Au 24e rang mondial (sur 180) du classement mondial 2023 de la liberté de la presse, la France fait figure de bonne élève. Sauf que depuis l'été dernier et le changement de ligne éditoriale au Journal du dimanche, la profession s'inquiète. La garde à vue de la journaliste d'Ariane Lavrilleux a également choqué. Les États généraux de l'Information, lancés le 3 octobre dernier, tombent au bon moment. Mais tiendront-ils toutes leurs promesses ?


Article de Benjamin Mathieu


Les Etats Généraux de l'Information se dérouleront le 30 novembre 2023 en présence de 50 médias, dont Le Moment, et de onze organisations de journalistes. L'évènement est public.


"La situation est plus qu'inquiétante." Charlotte Clavreul, directrice du fonds pour une presse libre s'alarme de la très forte concentration du secteur des médias en France : "Mis à part un cas, tous les autres milliardaires qui possèdent des médias n'ont aucun rapport avec le secteur. Ils viennent de l'armement ou de la téléphonie par exemple. C'est le cas au niveau national mais aussi au niveau local et on en parle beaucoup moins." D’après l’ACPM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias), 11 personnes physiques détiennent 81 % de la presse quotidienne nationale et 95 % la presse hebdomadaire. Un constat partagé par Cécile Dubois, co-présidente du Spiil (Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne) qui pointe, elle, du doigt les pressions exercées sur les journalistes : "Le cas de la garde à vue d'Arianne Lavrilleux n'est pas isolé. De nombreux médias membres de notre syndicat nous alertent sur ces pratiques depuis plusieurs années, qui dégradent la liberté de l'information en France. C'est notamment à cause de la loi sur la liberté des affaires, sur laquelle il faudrait revenir. On voit aussi des atteintes à la loi de 1981 sur la presse, prise sous le coup de l'émotion après les attentats en France."

A ces craintes s'ajoutent le poids énorme des plateformes dans la distribution des contenus, au détriment des médias qui produisent ses contenus. "On est en train de se faire éparpiller façon puzzle par Facebook et Google", poursuit Cécile Dubois.


Du côté de l'association Un bout des Médias, qui lutte pour promouvoir l'indépendance des médias, on souligne que l'histoire se répète sans une vraie prise de conscience des dangers. "Ce qu'il s'est passé cet été avec le Journal du dimanche fait écho à la grève en 2016 à Télé ou celle chez Europe 1. A chaque fois, des journalistes sont poussés à la démission à la suite de l'arrivée d'un nouvel actionnaire ou d'un directeur de la rédaction", analyse Daphné Ronfard, responsable du pôle plaidoyer au sein de l'association. "La loi Bloch de 2016, censée assurer le pluralisme et l'indépendance de l'information, surnommée - loi anti-Bolloré - a fait preuve de son inefficacité", poursuit-elle.


"L'atmosphère est aussi très inquiétante sur les réseaux sociaux", renchérit Charlotte Clavreul. "Dans le cadre de notre campagne actuelle de financement du fonds pour une presse libre, on se rend compte que les nouveaux algorithmes sur X (ex-Twitter) favorisent certains contenus de désinformation et tendent à mettre beaucoup moins en avant les contenus d'informations. Je comprends que le grand public soit complètement perdu et qu'il ait cette défiance. Il faut aller s'informer différemment et ce n'est pas si facile que ça", conclut-elle. Pour renouer le lien, plusieurs pistes peuvent être explorées, comme renforcer l'éducation aux médias qui concernerait toutes les catégories de population, et pas seulement les jeunes, pour donner des outils d'analyse face à la désinformation. Le rapport de force avec les GAFAM (Google, Amazone, Facebook, Apple, Microsoft) et leur position dominante semble néanmoins difficile à inverser dans l'état actuel de la législation européenne. L'enjeu de la législation européenne est très important, notamment sur les droits voisins qui permettent de rémunérer les médias dont les contenus étaient jusqu'alors diffusés sans contre-partie financière.



Les Etats Généraux de l'Information ont été lancé le 3 octobre dernier, à l'initiative d'Emmanuel Macron. Ils doivent durer 9 mois et intégrer les questions et la participation des citoyens.



"On est extrêmement inquiets nous aussi, malgré cette 24e place de la France au classement mondial 2023 de la liberté de la presse." Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général de Reporters sans frontières, détaille les points de vigilance de RSF, à l'initiative de ce classement annuel : "Il y a évidemment la question de la concentration économique, mais aussi de l'usage des médias dans un but idéologique au mépris des règles élémentaires du journalisme. On a énormément soutenu la rédaction du Journal du dimanche qui s'est fait manger tout cru par Vincent Bolloré . On est aujourd'hui au croisement du déficit de notre système légal. Qu'est-ce qui empêche un actionnaire de faire ce qu'il veut avec sa rédaction ? Finalement, fort peu de choses au fond. La fragilité des budgets des médias les met aussi en difficulté face à des actionnaires qu'on peut considérer comme malfaisants. Et puis il y a aussi une question politique. On voit que s'approprier un média aujourd'hui, ça coûte pas bien cher pour un milliardaire qui fait son shopping, mais cela lui permet quand même de dominer le débat public."





C'était une promesse d'Emmanuel Macron, plusieurs fois repoussée. Les États généraux de l'information, destinés à "protéger l’information libre face aux ingérences", d’après les mots du président de la République, ont été lancés officiellement le 3 octobre dernier et tombent donc à point nommé, tant les sujets d'inquiétudes sont nombreux. Ceux-ci se veulent indépendants, le site internet précise leurs compositions. Ils sont présidés par Bruno Lasserre, ancien vice-président du Conseil d’État, avec Christophe Deloire, secrétaire général de l’association Reporters sans frontières (mais à titre personnel, et non au nom de RSF, c'est subtil) et comme déléguées générales Nathalie Collin, Camille François et Anne Perrot. Leurs missions est "d’établir un diagnostic sur les enjeux liés à l’information et de proposer des actions concrètes" en intégrant "les citoyens et citoyennes" dans la démarche. Au programme, neuf mois de travaux, d'auditions, une plateforme numérique et des journées délibératives auxquelles des français tirés au sort pourront participer.


Une partie de la presse indépendante se montre circonspect vis-à-vis de cette initiative, raison pour laquelle ont été lancés en parallèle, des États généraux de la presse indépendante le 30 novembre prochain à Paris. L'initiative, à laquelle Le Moment participe, va réunir 50 médias et onze organisations syndicales et associatives de la profession de journalistes. Il s'accompagnera de plusieurs événements en région (Lille, Lyon, Strasbourg, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Rouen). "Nous nous voyons comme complémentaires des États généraux de l'Information, pas comme des concurrents", explique Charlotte Clavreul, directrice du fonds pour une presse libre, qui en est à l'initiative. Le fonds, créé à l'initiative commune des cofondateurs et des salariés du journal en ligne Mediapart, est constitué en association lui garantissant une indépendance par rapport au journal.


Deux initiatives salutaires, tant la distance entre le public, les journalistes et l'information qu'ils produisent se creuse de plus en plus. Reste à savoir si les propositions issues des États généraux de l'information se transformeront en loi. La nécessaire refonte des aides à la presse, qui favorisent les grands groupes de médias comme Les Échos / Le Parisien, doit aussi être mise sur la table. Le groupe détenu par LVMH a touché plus de 14 millions d'euros d'aides en 2022. A titre de comparaison, l'hebdomadaire Le 1 a lui touché 307 906 euros, Les Jours, 255 201 euros et Alternatives Économiques 123 000 euros.

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