Le jeudi 30 novembre ont eu lieu les États généraux de la presse indépendante réunissant une centaine de médias (dont Le Moment) et d'organisations, en réaction aux États généraux de l’information initiés par le président Emmanuel Macron. Une partie de la profession s’est notamment indignée du manque de journalistes pour les représenter.
Par Chloé Denis
“C’est un acte citoyen de venir”, estime une jeune bénévole de l’association AuPoste… La presse indépendante se mobilise. Plusieurs intervenants et spectateurs patientent en découvrant les stands remplis de prospectus. Ils débattent, rient et se restaurent avant le début des conférences. Des exemplaires gratuits de Politis, de Kairos et de Témoins 88 sont disposés sur les tables.
Après quelques minutes les portes s’ouvrent. Deux pancartes “Libérons l'information” sont placées aux extrémités de la pièce. La salle de conférence pouvant accueillir 700 personnes se remplit rapidement. Elles ont un point commun : la volonté d’améliorer les conditions de travail des journalistes.
La présentation est assurée par la journaliste, auteure et traductrice à l’origine du site Payetapige, Nora Bouazzouni, et le journaliste, réalisateur et fondateur de l’association AuPoste, David Dufresne. Ils abhorrent un masque à l'effigie des milliardaires français : Bernard Arnault et Vincent Bolloré. Une entrée en matière qui fait l'unanimité auprès du public.
Agir pour les médias
Dans la campagne présidentielle de mars 2022, Emmanuel Macron avait promis des États généraux du droit à l’information afin de “lutter contre toutes les tentatives d’ingérence et de donner aux journalistes le meilleur cadre pour remplir leur mission essentielle”. Il confie donc cette initiative à un comité de pilotage indépendant qui réunit des experts, acteurs des médias et citoyens. Christophe Deloire, délégué général des États généraux de l’information et secrétaire général de Reporters sans Frontières était par ailleurs présent jeudi.
Les États généraux doivent conclure d’ici 2024 à des propositions de modifications législatives ainsi qu'à des recommandations. Initiative critiquée par François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre. Le journaliste a publié le 3 octobre un article faisant état “d’un vaste débat sur des thèmes aussi larges que flous et qui devrait déboucher dans neuf mois sur un rapport… Un de plus ?” Selon lui, il est important de rassembler des médias indépendants “au-delà de notre diversité, de nos désaccords. Il nous faut nous rassembler pour dire aux citoyens que d’autres propositions éditoriales, que d’autres agendas informatifs existent”.
Le journalisme, une profession maltraitée ?
Le traitement du conflit israélo-palestinien, la question du financement des médias sans groupes de presses et la précarité des journalistes sont les points abordés lors des différentes tables rondes. Les intervenants expliquent leurs points de vue sur des questions nécessaires autour du journalisme. La question du financement des médias revient régulièrement. Le journalisme indépendant souffre d’un manque de financement. Pour Mack Dragan, journaliste au Mouais : “Les journalistes, et particulièrement les pigistes, doivent bénéficier de la même reconnaissance que les artistes, par exemple parce qu’on a des temps de travail très long et peu de moyens. Notre précarité touche l’information que vous recevez en tant que public. On a besoin d’enquête sauf qu’enquêter demande du temps. Ce que nous n’avons pas”, explique-t-il tout en soulignant que “les pigistes ont besoin de la presse indépendante autant qu’elle a besoin de nous”.
Nora Bouazzouni rappelle ce qui inquiète la majorité de la presse présente : la concentration des médias par des milliardaires. « Lire des journaux comme Le JDD, c’est comme boire l’eau d’un puits douteux », glisse la comédienne Audrey Vernon. Une référence au rachat polémique de l'hebdomadaire dominical en juillet dernier par le groupe de Vivendi.
L’inclusivité au cœur des rédactions
C’est au tour des membres de l’association AJAR (Association des journalistes antiracistes et racisé.e.s) de prendre la parole. Lancée en février 2023 par les journalistes Christelle Murhula et Rémi-Kenzo Pagès, cette association s’est engagée à lutter contre la précarisation qui touche les journalistes racisé.e.s. “Aucun média n'y échappe. L’absence d’inclusivité des journalistes racisé.e.s est flagrante dans les rédactions et on le voit ce soir dans la salle”, affirme Christelle. Un silence gêné gagne l’assemblée alors qu’une poignée de personnes applaudit chaudement ces paroles.
Les intervenants soulignent l’idée que les journalistes racisé.e.s ne doivent plus être choisis pour “les quotas mais pour la qualité des contenus”. En s'adressant directement aux responsables de rédactions, ils les invitent à entrer dans une logique de coopération. Pour Rayan T., 25 ans et étudiant en master 1 de journalisme à l’école de Gennevilliers, ce moment d’échange est nécessaire : « Dans la salle ont à bien vu que la question de la représentativité était encore touchy, même pour des représentants de médias qui se disent inclusifs. »
Une centaines de médias indépendants et alternatifs dont Mediapart, Street Press, Reporter ont formulé 59 propositions pour réformer la presse et le système d’information en France, autour de trois thèmes selon le média d’investigation Marsactu : l’urgence de réformes de l’information en France, la nécessité de contrer les offensives multiples lancées par les puissances politiques et économiques contre un journalisme indépendant, d'intérêt public et au service des citoyennes et des citoyens, l’obligation commune de reconstruire une relation de confiance.
Aujourd’hui, celle-ci est très abîmée par les liens de dépendance qui pèsent sur de trop nombreux médias.
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