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Emma Launé-Téreygeol

Marches contre l’antisémitisme : une banderole unique, des manifestants divisés

Dimanche 12 novembre ont eu lieu plusieurs rassemblements contre la recrudescence des actes antisémites en France depuis l’attaque terroriste du 7 octobre du Hamas en Israël, qui a riposté sur Gaza. L’appel lancé au nom de la convergence des luttes contre l’antisémitisme a rassemblé des milliers de personnes, sans parvenir à fédérer unanimement autour d’une seule et même cause, dans un climat tendu autour de la question juive et israélienne.


Reportage de Emma Launé-Téreygeol

La pancarte de Noémie, 38 ans, venue marcher contre l’antisémitisme malgré ses réticences face à la présence du Rassemblement national.

J’ai hésité à venir”. Noémie, 38 ans, tient fièrement sa pancarte au milieu des milliers de personne venues marcher contre l’antisémitisme aux Invalides. On peut lire dessus “Contre les antisémites, les islamophobes et tous les racistes”, un message qui lui vaut une insulte de la part d’un homme d’âge mur “se revendiquant islamophobe”. Elle souffle tandis que l’homme s’éloigne comme si de rien n’était, une inconnue se rapproche d’elle, consternée. Une “marche civique” contre l’antisémitisme a été lancée à l’appel de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et de son homologue au Sénat, Gérard Larcher, que plusieurs cadres du parti La France insoumise, dont Jean-Luc Mélenchon, ont appelé à boycotter. La raison : la présence du Rassemblement national, parti d’extrême droite dont le fondateur Jean-Marie Le Pen a été plusieurs fois condamné par la justice pour des propos antisémites.


J'ai hésité à venir, ce n'est pas facile d'être là”, soupire Noémie en déplorant la présence du parti anciennement dirigé par Marine Le Pen. Françoise, 56 ans, acquiesce à côté d’elle. Elles viennent de se rencontrer et partagent le même avis. “Je suis partagée. Je ne veux pas qu'on soit obligés de choisir entre soutien au droit des peuples et lutte contre l’antisémitisme. Je suis pour un appel cessez-le-feu et à la libération des otages.” En amont de la marche, le groupe Golem, “un collectif de juifs et juives (allié(e)s) qui lutte contre l’antisémitisme” a tenté d’empêcher le Rassemblement national de défiler, avant d’être contenu par la police et la Ligue de défense juive, mouvement néosioniste, un incident qui témoigne des divergences latentes parmi les marcheurs.


“Beaucoup s'insurgent que LFI ne soit pas là, mais ils étaient présents ailleurs.”

Au milieu des manifestants, des membres de l’association Fils et filles de déportés juifs de France se tiennent sous une bannière aux couleurs du drapeau bleu et blanc israélien. Ils ne sont pas d’accord avec cette vision. “On est désolés que des partis se réclamant de la gauche boycottent la marche sur un mot d’ordre. Nous ne jugeons pas les critères d’il y a 50 ans, pour nous le parti de Marine Le Pen a évolué”, explique Gabrielle, 64 ans, fille de déporté juif français. “Par ailleurs, les propos de David Guiraud m’ont beaucoup choquée.” Lors d’une conférence à Tunis quelques jours plus tôt, le député insoumis David Guiraud avait déclaré : "Le bébé dans le four, ça a été fait, en effet, par Israël, la maman éventrée ça a été fait, c’est vrai, par Israël", une allégation accusée de relativiser les attaques du Hamas du 7 octobre en Israël.


Salomé, 23 ans, membre de l’Union des étudiants juifs de France, et sa mère Vanda, 56 ans, toutes deux venues manifester contre l’antisémitisme, mais partisanes d’une ligne plus réservée sur les actions du gouvernement israélien.

Salomé, 23 ans, membre de l’Union des étudiants juifs de France, brandit une pancarte “L’antisémitisme n’a qu’un visage : la haine”. Accompagnée de sa mère Vanda qu’elle tient par le coude, elle revendique une prise de position “minoritaire”, et relativise le boycotte de LFI. “Beaucoup s'insurgent que LFI ne soit pas là, mais ils étaient présents ailleurs. Leur discours peut être entendu et compris au vu de la présence des élus RN qui ne sont pas du tout les bienvenus”. Interrogée sur la perturbation du rassemblement LFI qui se déroulait le matin même, soutenue par le Crif, la jeune fille observe que l’organisme “amalgame antisémitisme et antisionisme”. “Ça nous touche tous, presque tous les juifs ont de la famille en Israël. L’antisionisme a sa place en France, mais il est récupéré et un raccourci est fait entre juif et israélien.


Le rassemblement lancé à l’appel de La France insoumise interrompu

Touche pas au Vel’ d’Hiv’, touche pas à la mémoire !” Des députés La France insoumise, dont Mathilde Panot, présidente du groupe à l'Assemblée nationale, se sont rendus dimanche 12 novembre au square des Martyrs juifs du Vélodrome d’Hiver à l’occasion d’un rassemblement antiraciste et contre l’antisémitisme. Plusieurs cadres du parti La France insoumise avaient décidé de boycotter la marche organisée aux Invalides en raison de la présence du RN. Les élus insoumis s’apprêtent à déposer une gerbe de fleurs au pied du monument du square. Soudain, une trentaine de manifestants sort de sous leurs manteaux des feuilles arborant le slogan “Touche pas à la mémoire”, et se précipite vers le monument pour en bloquer l’accès. Dans l’assemblée qui leur fait face, les visages se contorsionnent et les invectives fusent, si bien qu’un cordon de police s’interpose rapidement. “Je suis juive et je ne suis pas d’accord !”, leur crie une femme d’âge moyen au bord des larmes. “C'est réactionnaire”, s’énerve sa voisine, une femme plus âgée en doudoune noire.


Une trentaine de manifestants se sont extirpés de la foule pour brandir leurs affiches, ils se tiennent sur le monument commémoratif du square des Martyrs juifs du Vélodrome d’Hiver pour empêcher le dépôt d’une gerbe de fleurs.

On les attendait aujourd’hui avec nous à 15 h”, s’énerve un des contestataires venu protester contre le rassemblement, qui a souhaité rester anonyme. “Ce sont des juifs. On est là contre le racisme et tous les antisémites. On sera là à 15 h, mais eux non. Ce sont eux qui divisent”, poursuit-il prostré sur le monument commémoratif du Vel’ d’Hiv’, les doigts crispés sur son affiche. Se revendiquant “enfants de déportés”, mais d’aucun groupe spécifique, les contre-manifestants ont bénéficié du soutien du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), organisme de représentation de la communauté juive auprès des pouvoirs publics, qui soutient l’Etat d’Israël dans ses prises de position, sur le réseau social X.


“On les attendait aujourd’hui avec nous à 15 h”

Des membres de Tsedek, collectif des juifs et juives décoloniaux “pour la fin de l’occupation en Israël-Palestine”, déploient une grande banderole noire, dos au monument, pour tenter de cacher la protestation qui se déroule derrière eux. “On est juif et de gauche, on veut une alliance anti-raciste, et eux débarquent en nous refusant d'être là ? La gauche n’aurait pas le droit de se battre contre l'antisémitisme ? ”, s’étonnent Daniel, Noé et Frédéric, la vingtaine, membres du collectif.


La bannière du collectif Tsedek ! qui se sont placés devant le cordon de policiers, dos aux contre-manifestants.

A côté d’eux, Nicole, 80 ans, de confession juive et membre de la Ligue des droits de l'Homme, s’époumone contre les manifestants qui lui font face. Elle se dit “scandalisée”, car pour elle, il est “nécessaire” de se tenir à l’écart de la marche contre l’antisémitisme organisée aux Invalides. “Je ne peux pas manifester avec le RN, je ne peux pas aller à une manifestation antiraciste polluée.” Elle appelle aussi à un cessez-le-feu. “Je suis juive, je le revendique, et je m’autorise à critiquer Netanyahu. Rien n’est possible sans cessez-le-feu, sinon les Gazaouis vont se faire massacrer. On peut avoir de la compassion pour les deux”, explique-t-elle. Nathan Petit, 23 ans, membre du collectif Jeunes générations défend aussi le fait de “pouvoir manifester leur solidarité et avoir un moment de recueillement apolitique ouvert, contre le fait qu'on assassine, d'un côté comme de l’autre." “C’est une absurdité de marcher avec l'héritière de Jean-Marie Le Pen”, s’emporte-t-il.


La foule ne décolère pas, le vacarme d’insultes entre les deux parties redouble d’intensité. Des "Fascistes !" fusent d’un côté, "Panot collabo" de l’autre. A défaut de déposer les gerbes au pied du monument, les députés appellent à une minute de silence dans un mégaphone, avant de partir. Les protestataires sont escortés par la police, laissant derrière eux une assemblée sidérée. "C’est malheureux, je ne pensais pas qu’on ne nous laisserait pas exprimer d’autres tendances que celles de la manifestation de cet après-midi", déplore Daniel, 32 ans, militant pour La France insoumise.


Le silence est pesant, la gerbe est délicatement posée au milieu du square. Une dizaine de personnes se rassemble autour, les yeux rivés vers le sol. Le temps est figé. Les jeunes membres du Tsedek entonnent des chants traditionnels juifs, un homme aux cheveux grisonnants éclate en sanglots, plusieurs personnes s’avancent pour le réconforter. Nicole se tient en retrait, épaulée par Mireille, 73 ans, une militante LFI qu’elle vient à peine de rencontrer. "C'est horrible, on a l'impression que tout va recommencer, comme si on ne pouvait pas tous avoir notre religion. On est des humains avant tout."


Un total de 1 518 actes et propos antisémites ont été recensés en France depuis le début de la guerre Israël-Hamas, donnant lieu à près de 600 interpellations, a annoncé le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, mardi 14 novembre sur Europe 1. Ce chiffre est plus de trois fois supérieur au nombre d'actes ou propos antisémites enregistrés (436) sur toute l'année 2022. Le ministère de l'intérieur à décompté 105 000 manifestants à Paris et 182 000 dans toute la France. Des rassemblements étaient organisés dans plusieurs autres villes, plus de 70 ont été annoncés dans toute la France, comme à Nancy, en Meurthe et Moselle, qu’a constaté notre journaliste Benjamin Mathieu.


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