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Cycle Terre repense le(s) bâtiment(s)

Dernière mise à jour : 17 janv.

ÉCOLOGIE. Depuis deux ans, l'usine Cycle Terre, à Sevran, produit des matériaux destinés à la construction – principalement des briques – à partir de terre récupérée sur des chantiers du Grand Paris. Bien qu’utilisée dans la construction de grandes infrastructures, notamment olympiques, le recours à cette production est encore sporadique dans le secteur du bâtiment francilien. Mais, au regard des considérations écologiques, elle est appelée à croître. 


Reportage par Dorian Lacour



L'usine Cycle Terre, à Sevran, produit des matériaux de construction - notamment des briques - à partir de terre d'excavation récupérée sur les chantiers du Grand Paris. (Photo : Dorian Lacour)


Derrière sa splendide arche en bois, l’usine Cycle Terre, nichée au cœur d’une zone industrielle sans âme à deux pas de la gare RER Sevran-Beaudottes, détonne. Entourée de bâtisses aux façades mornes, la manufacture de caractère saute aux yeux. Et ce qui se passe à l'intérieur, tout autant.


Les chantiers de construction du Grand Paris produisent énormément de terre. Les machines aplanissent, creusent le sol, y forent des galeries... Tout ce surplus, appelé terre d’excavation, est considéré comme un déchet. Les entreprises du bâtiment doivent payer un droit à la décharge pour s’en débarrasser. C'est là que Cycle Terre entre en jeu. L'usine, lancée dans les derniers mois de 2021 sur une surface d'environ 2 200 m², transforme cette terre en nouveaux matériaux destinés à la construction : du mortier, des enduits et, principalement, des briques. 


Toute la production vendue


Dans le vaste entrepôt en prise aux vents, la terre est passée dans un malaxeur, puis transformée en briques. Tout un cycle de recyclage vertueux se dessine, car les matériaux sortis de l’usine Cycle Terre peuvent être remis sous forme terreuse, et redevenir des briques. Cet aspect circulaire – les matériaux pouvant être refaits à l’infini – ne dégrade en rien la durabilité des briques. « Dans les cahiers des charges, nous prenons à chaque fois les taux les plus hauts. C'est impératif d'assurer la qualité du produit », promet Teddy Dusausaye, le directeur général du site.


Teddy Dusausaye, directeur général de Cycle Terre, mardi 9 janvier 2024. (Photo : Dorian Lacour)


Une fois fabriquées, les briques sont placées dans un énorme séchoir, monstre métallique recouvrant tout un pan de mur de l’usine, et permettant de faire sécher la terre même par temps froid. Après le séchage, qui dure quelques jours, les briques sont récupérées par les clients de Cycle Terre. 


En termes de robustesse, ces briques n’ont pas grand-chose à envier à celles en terre argileuse cuite dont nous avons l'habitude. Des batteries de tests sont réalisées pour s’en assurer, avec toujours une volonté d’avoir les standards les plus élevés. Seul point faible, les briques de Cycle Terre supportent mal la pluie. « Dès qu'il pleut, ça ne va pas du tout. C'est pourquoi on ne les utilise que pour les intérieurs. Nous pouvons les rendre hydrofuges, en ajoutant 5 % de ciment, mais nous évitons au maximum », détaille Teddy Dusausaye. Pour des raisons environnementales, puisque la production de ciment était responsable, en 2021, de 7 % des émissions mondiales de CO2, selon l’Association mondiale du ciment et du béton (GCCA). En 2022, seulement trois palettes de ciment ont été utilisées par l'usine. Promesse tenue. 


Paris 2024 et le Colisée


Des dizaines de palettes de briques sont rangées à la verticale sur plusieurs mètres de haut, le long des murs de l’usine. Le stock semble titanesque. Et pourtant, « toutes les palettes que vous voyez là sont vendues », se réjouit Teddy Dusausaye. Preuve que l'expérience est un succès. Depuis son lancement, l'usine a utilisé près de 4 000 m³ de terre d'excavation, soit environ 5 000 tonnes. Autant de terre qui aurait pu partir en déchetterie. 


Des chiffres conséquents, mais en réalité bien maigres vue la quantité de matériaux utilisés par le secteur de la construction. « Ça doit représenter 0,01 % du volume » du secteur du bâtiment francilien, estime le directeur général de Cycle Terre. Une poussière, alors que ledit secteur est responsable de 23 % des émissions de gaz à effet de serre français, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique.


La terre d'excavation malaxée est transformée en divers matériaux de construction, dont des briques utilisées sur les chantiers de l'Arena Porte de la Chapelle et du Colisée de Tremblay-en-France. (Photo : Dorian Lacour)


Les matériaux de Cycle Terre ont toutefois été utilisés pour la construction de l’Arena Porte de la Chapelle, haut lieu des Jeux olympiques de Paris 2024, où seront accueillies les épreuves de badminton et de gymnastique rythmique. Le Colisée, salle de spectacles de 9 000 places à Tremblay-en-France, a aussi fait appel à Cycle Terre pour le gros œuvre. Deux projets conséquents, symboles d’un renouveau dans le secteur du bâtiment francilien, davantage tourné vers l’écologie.  


Plaques prototypes


En cohérence avec son ambition écologique, l'usine ne livre que dans un rayon de 100 kilomètres autour de Sevran. « Nous produisons des matériaux hyper écolos. Imaginer les mettre sur des camions qui parcourent des centaines de kilomètres en brûlant du pétrole, ce ne serait pas logique », explicite-t-il. Exception peut toutefois être faite pour des projets éco-responsables.


Sous la structure en bois à l'entrée de l'usine, Hubert Ponthieu, un des employés, s'affaire à découper des plaques de terre – encore à l'état de prototype – censées remplacer les fameuses plaques de plâtre BA13, très utilisées pour la finition des murs et plafonds intérieurs. Ni le froid ni une embauche aux aurores ne le défont de son sourire. « C'est très valorisant comme métier. Même si, des fois, on doit faire des trucs un peu relous, comme ce que je fais en ce moment, ça reste très rare », affirme celui qui a intégré l'usine en octobre 2022. 


Hubert Ponthieu, employé de Cycle Terre, en train de découper des plaques de terre, encore à l'état de prototype, censées remplacer les plaques BA 13. (Photo : Dorian Lacour)


Ce jour-là, quelque chose chagrine Hubert : un camion dont le chauffeur a reculé sans regarder dans la cour de l'usine il y a quelques jours, a emporté avec lui plusieurs plaques. « Il y en a qui sont cassées, que je ne peux même pas tailler, d'autres griffées... », grommelle-t-il. Les plaques trop abîmées sont mises de côté, pour être recyclées et servir à la construction d’autres matériaux. Une preuve supplémentaire du côté circulaire de Cycle Terre. Rien ne se perd.


Du solide


Pour aller encore plus loin dans la logique écologique, Cycle Terre travaille à remplacer le sable qui entre dans la composition de tous ses matériaux. « Nous voulons nous en passer, car ce n'est pas renouvelable, donc ça ne nous plaît pas trop », assure Teddy Dusausaye. Pour ce faire, l'usine dispose d'un laboratoire où, en plus des vérifications des produits, la recherche bat son plein pour complètement se passer des produits non-renouvelables.



Toutes les briques produites par Cycle Terre, même celles stockées dans l'usine, sont vendues. (Photo : Dorian Lacour)


La chaîne de production – un mètre cube de matériau peut être produit à la minute – comme la partie recherche et développement se portent à merveille. Reste à trouver des clients. Et pour ça, Teddy Dusausaye, qui va bientôt quitter ses fonctions pour rejoindre un grand groupe aéronautique à qui il fera bénéficier de son savoir-faire en matière environnementale, a une astuce. « Plus de 3 000 architectes sont venus visiter l'usine depuis son ouverture. Ils en parlent autour d'eux, et ça peut intéresser des chantiers sur lesquels ils travaillent. Pas besoin de budget pub ! », sourit-il. Et force est de constater que Cycle Terre séduit. 


Ses matériaux sont utilisés dans la construction d'infrastructures d’ampleur – l’Arena Porte de la Chapelle et le Colisée de Tremblay-en-France, donc. Faire rayonner son projet, à l’heure des Jeux olympiques de Paris, n’est-ce pas une fierté ? « C’est surtout le développement de la filière terre qui est important. Derrière nous, il y a toute une batterie d’artisans et de petites entreprises », se satisfait Teddy Dusausaye. Décidément, toujours les pieds sur terre. 



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