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Europe Ecologie Les Verts et Médine : l'effet boomerang de la polémique

Photo du rédacteur: Benjamin MathieuBenjamin Mathieu

Les universités d'été des écologistes, au Havre, étaient censées incarner l'ouverture, notamment aux quartiers populaires, voulue par la nouvelle direction du parti. L'invitation du rappeur Médine, et la polémique qui l'a suivi, ont entrainé l'effet inverse à celui recherché et considérablement brouillé le message.


Reportage au Havre de Benjamin Mathieu

Salle comble et forte présence médiatique pour la discussion entre Marine Tondelier et le rappeur Médine, lors de la première journée d'été des écologistes, au Havre, le 24 août 2023. Credit photo : Benjamin Mathieu


Les conditions étaient réunies pour une rentrée politique festive. Au Havre, les "verts" s'étaient donné rendez-vous au Carré des Docks, un centre de congrès flambant neuf, symbole du renouveau de la cité portuaire. Mouettes rieuses, soleil à peine voilé par quelques nuages normands et burgers végétariens servis le long du canal,... "les journées d'été" s'annoncent sous les meilleurs hospices, d'autant qu'il y a du monde. C'est un indicateur comme un autre, mais il est assez révélateur. Pour la journée d'ouverture, la salle de presse du site où se déroulent les conférences est en surchauffe. Les journalistes de la presse nationale sont venus en nombre et dégoulinent de sueur dans cette pièce non climatisée. En pleine fin de canicule, dans des espaces où la chaleur est difficilement supportable, les questions liées au réchauffement climatique sont pourtant éclipsées. Un seul sujet nourrit le débat médiatique : les accusations d'antisémitisme de Médine qui ont entraîné une polémique qui dure depuis trois semaines. La presse n'est là que pour la discussion entre Marine Tondelier et le rappeur prévue en fin de journée. La nouvelle direction du parti voulait démontrer qu'elle ouvrait grand "les portes et les fenêtres", se projetant déjà sur la refondation d'EELV en un nouveau mouvement de l'écologie qui dépasserait ses frontières étriquées actuelles. C'est donc raté.


La salle où se déroulent les "plénières" est comble pour assister à l'exercice de justification du rappeur havrais. Celui-ci a évidemment préparé un propos d'introduction au cours duquel il s'excuse de nouveau pour son tweet polémique à l'encontre de Rachel Khan, qu'il qualifie de "maladresse" refusant tout antisémitisme. « J’ai surréagi. Je n'avais absolument pas mesuré la charge, ni voulu viser la famille de Rachel Khan dans le message, ou n'importe laquelle ayant vécu la Shoah" justifie-t-il. Mais l'assistance n'aura pas le droit à une réelle discussion. La secrétaire nationale d'EELV Marine Tondelier, préfère faire de cet "échange" une explication de textes, au cours de laquelle Médine confesse beaucoup d'erreurs (sur les images provocatrices du clip du titre "Don't Laïc", sur sa quenelle et sa prise de distance qui se fit longtemps attendre avec Dieudonné, sur le deuxième couplet de la chanson « Grand Médine » qu’il ne joue plus en concert). Dommage, c'était pourtant l'occasion de réaffirmer quelques grands principes politiques auxquels EELV est attaché. La question des quartiers populaires, raison pour laquelle Médine était au invité départ, est elle aussi réduite à la portion congrue.

Lors de la "plénière" d'ouverture des journées d'été des écologistes présentée par la maire de Poitiers, consacrée aux états généraux de l'écologie. Sur scène, de gauche à droite : Achraf Manar, Jean-Paul Dalenne, Priscillia Ludosky, Albane Godard et Léonore Moncond'huy. Au premier plan, Marine Tondelier et Léa Balage El Mariky.

Crédit photo : Benjamin Mathieu


Un peu plus tôt, à la mi-journée, l'assistance est beaucoup moins fournie et la presse quasi absente, pour assister à la plénière d'ouverture présentée par Léonore Moncond'huy, consacrée aux états généraux de l'écologie. Ce travail de plusieurs mois est censé symboliser la nouvelle ouverture du parti, notamment aux quartiers populaires. « L’objectif est de dépasser notre homogénéité, réelle ou fantasmée" détaille la maire de Poitiers, "nous ne voulons pas réfléchir entre nous mais avec les personnes que nous voulons mobiliser ». A ses côtés sur scène, Achraf Manar, fondateur de l'association Destins Liés, se veut constructif mais réaliste : " Je suis né en banlieue populaire mais j’ai grandi dans le monde rural " explique le jeune homme. "Leur point commun, c’est le manque de confiance dans les représentants. On a besoin de plus de jeunes élus, de plus de personnes issues de la diversité, de plus de femmes élues, car elles sont souvent aux croisement de plusieurs intersectionalités. Sans ces personnes là dans le parti, il n’y a pas de victoire possible " analyse-t-il. Priscillia Ludosky, ancienne figure des Gilets Jaunes et elle-même racisée, conclue cette table ronde par cette alerte : "l’urgence la plus forte, c’est d’empêcher la victoire de l’extrême droite. Moi je n’ai plus envie de voter par défaut". L'autrice de la pétition "pour une baisse des prix du carburant à la pompe" en 2018 est par ailleurs pressentie pour intégrer la liste EELV aux prochaines éuropéennes.

Temps d'échange entre François Ruffin, député LFI et les députés EELV Marie-Charlotte Garin et Charles Fournier (hors-champs) sur la radicalité, lors des journées d'été des écologistes, le 24 août 2023. Crédit photo : Benjamin Mathieu


Ce sont les mêmes alertes que l'on entend lors d'une discussion informelle le long du canal avec François Ruffin, député LFI et les députés EELV Marie-Charlotte Garin et Charles Fournier sur la radicalité. L'insoumis qui prépare activement l'élection présidentielle de 2027 a changé de discours sur le sujet : "On rend bien plus service aux luttes en étant pas servile des luttes. Pour moi, les soulèvements de la terre, c’est groupusculaire. Je ne reprends par leur vocabulaire qui consiste à dire, - on arrête pas un soulèvement-. En tant que représentant, je m'en tiens à distance. Moi, mon idée c’est comment tu rends ces idées majoritaires. Ça passe par des explications sur la quantité d'eau utilisée par l'agriculture avec la culture du maïs. (La moitié de l'eau consommée en France l'est par l'agriculture, dont ces la moitié va au maïs irrigué) On peut discuter avec les agriculteurs de cultures de substitutions". Un discours d'apaisement en rupture avec les prises de paroles et le comportement du picard lors de son premier mandat à l'Assemblée Nationale. Il vise désormais le fait majoritaire pour une victoire de la gauche en 2027, tournant le dos à la stratégie de l'affrontement des Insoumis.


Au cours de cette discussion, qui porte aussi sur les moyens de conquérir le pouvoir, une vielle dame prend la parole, d'une voix chevrotante pour dénoncer l'embourgeoisement de son propre parti : "on ne doit pas juste "aller" dans les quartiers populaires. On doit essayer de ne pas se faire représenter par la classe bourgeoise, et faire en sorte qu’ils s’investissent eux-mêmes". Sanaa Saitouli, co-fondatrice de Banlieues Climats, originaire de Cergy dans le Val-d'Oise, prend alors la parole et met les pieds dans le plat (réutilisable) des écologistes : "Ce qui nous manque aujourd’hui c’est la représentativité. Ici, il y dix personnes racisées sur 1 000 personnes présentes, moi je trouve ça choquant. Ce que j’attends ici, c’est de l’inclusion". La députée Marie-Charlotte Garin, lui répond, un peu embarrassée : "Je suis d’accord avec vous. Moi, mon job, en tant que députée femme de moins de 30 ans, c’est de maintenir la porte ouverte à l’Assemblée pour que d’autres personnes encore plus éloignées que moi de la politique rentrent à l’assemblée. Chacun doit prendre sa part et faire confiance au collectif".


La co-fondatrice de Banlieues Climat, Sanaa Saitouli, interpelle des élus écologistes sur la question de l'inclusivité d'Europe Ecologie Les Verts. Crédit Photo : Benjamin Mathieu


François Ruffin reprend alors la parole pour évoquer la formation nécéssaire à tout novice en politique : "Il faut être armé pour faire un mandat. Le seul parti à avoir réussi à former des classes populaires, c’est le Parti Communiste". Avant, lui aussi, d'aborder le sujet qui fâche : " Il y a aussi la question de savoir si nos formations politiques sont prêtes à faire de la place". Question restée sans réponse lors de cet échange mais reprise au vol le lendemain lors d'une table ronde sur le racisme dans la police. Anne-Claire Boux, maire adjointe à la mairie de Paris en charge des quartiers populaire interpelle ouvertement son camps politique : "la police est un miroir amplificateur du racisme dans notre société (...) Cette réforme de la police doit aller plus loin avec un plan de lutte global contre le racisme. N'oublions pas non plus que nous sommes un parti, et donc membre de ce système qui est raciste. Nous devons donc nous aussi nous interroger, en tant que parti, de la question du racisme dans nos rangs". Un prise de position assez rare de la part d'une élue EELV. Dommage qu'à ce moment là, la plupart des journalistes n'étaient plus là pour l'entendre.


Table ronde sur "racisme dans la police, mépris des quartiers, sortons de l'impasse" vendredi 25 août 2023 aux journées d'été des écologistes.



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