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Fatima Ouassak : "L’écologie doit sortir de son entre soi social."


Au cœur de son analyse, une idée explosive mais rigoureuse : la liberté de circulation et d’installation sans conditions n’est pas un supplément d’âme humaniste, mais une condition écologique et démocratique majeure. Elle seule permettrait de défaire l’architecture coloniale qui structure l’ordre climatique mondial et d’ouvrir la voie à une écologie de libération.


Entre critique de l’écologie « mainstream », réflexion sur la dignité liée à la terre et hypothèse stratégique de la sécession territoriale en cas de prise de pouvoir par l’extrême droite, Fatima Ouassak invite à repolitiser l’écologie, à la réancrer dans les luttes populaires et à renouer avec un horizon internationaliste venu du Sud.


Fatima Ouassak, cofondatrice du Front de mères et de Verdragon, première maison d’écologie populaire en France, autrice de La puissance des mères et Pour une écologie pirate, directrice de la collection Écologie de la libération aux éditions Les Liens qui Libèrent
Fatima Ouassak, cofondatrice du Front de mères et de Verdragon, première maison d’écologie populaire en France, autrice de La puissance des mères et Pour une écologie pirate, directrice de la collection Écologie de la libération aux éditions Les Liens qui Libèrent

Propos recueillis par Didier Raciné, rédacteur en chef de AltersMedia


Qu'est-ce qu’est l’écologie que vous appelez écologie pirate ? En quoi diffère-t-elle de l’écologie main stream actuellement ?

Cette écologie majoritaire, ou main stream, ne prend pas en considération les intérêts, les priorités, les urgences des populations non-blanches qui vivent sur le territoire hexagonal ; ni celles des populations du monde entier, venant notamment de l'autre côté de la Méditerranée. L'exemple que je prends dans L'écologie pirate, les manifestants contre le climat qu'on a pu voir par dizaines et centaines de milliers en 2016, 2017, 2018, cette population, cette masse militante qui faisait plaisir à voir, qui dénonçait ces ravages. Ces manifestations étaient très homogènes sociologiquement : pour l'essentiel des membres de la classe moyenne supérieure, pour l'essentiel blanche. Cela a été documenté, étudié par quelques sociologues. Les organisations qui y appelaient à l'époque ne sont évidemment pas responsables du fait que les populations qui aujourd'hui militent, s'engagent dans le champ écologiste soient aussi marquées sociologiquement (et en réalité, on pourrait dire la même chose par exemple du champ féministe).


Mais cette observation a été le début d'une autocritique de la part du mouvement climat à l’époque, l'idée qu'il y avait trop d'entre-soi et qu'il était nécessaire d'élargir le front. Malheureusement, l’autocritique s’est arrêtée là ! D’ailleurs, si c'était simplement une question de diversité, il suffirait de prendre quelques personnes non blanches et de décorer le mouvement de leur couleur de peau ! Mais évidemment, ça ne suffit pas : la diversité, ce n'est pas l'équivalent d’un projet politique d'émancipation.


Cette première observation de la sociologie très homogène du mouvement écolo est intéressante mais ne suffit pas : il faut étudier le projet politique écologiste pour essayer de comprendre en quoi cette écologie ne convient pas à tout le monde. Le premier point d'entrée que j'ai pris pour l’étudier, c'est la question de la liberté de circulation. Le second est la dignité humaine et ses rapports à la terre.


A propos de la liberté de circulation, c'est simple : on n'en discute pas ! La question de la liberté de circulation et d'installation sans conditions n'est pas à l'ordre du jour, ce n'est pas un débat, y compris dans le champ intellectuel, ou le champ académique, ou dans les milieux écologistes radicaux. On ne vérifie pas nos accords, ni nos désaccords, du moins on n'en fait rien.



C'est un sujet réel, alors que dans l'espace public, on n'en parle pas.


Il y a encore une trentaine d'années, pour la LCR la liberté de circulation d'installation sans condition faisait partie des fondamentaux. Aujourd’hui, dans cet espace-là aussi on met la question sous le tapis. Aujourd’hui c'est un sujet pour l'extrême droite qui mobilise autour de l'enjeu des frontières. Car ce qui se cache derrière cette histoire de liberté de circulation, c'est la question des frontières.


L’extrême droite parle de la nécessité d'aller vers l'écologie et aborde des enjeux liés à la terre ou à l'eau. Et pour moi, il ne s'agit pas d'instrumentalisation, il y a un intérêt et un retour vers quelque chose qui lui est chère. Et l'écologie pour l'extrême-droite, c'est les frontières.


J'ai participé à un colloque universitaire en Suède il y a huit ans intitulé Écologies et Extrême droites en Europe, et je me suis rendu compte de deux choses. La première, c'est à quel point les extrêmes droites européennes cherchaient à faire le lien avec les enjeux liés à la crise climatique. Elles souscrivaient de plus en plus aux rapports du GIEC montrant la catastrophe climatique, mais aussi les inégalités des conséquences du dérèglement climatique au sud et au nord de la Méditerranée : les ravages seront plus nombreux au sud qu'au nord et ils pousseront les populations d'Afrique à migrer. Les extrêmes droites, conséquentes par rapport à leur idéologie, concluaient en parlant de verrouiller les frontières. Mais nous, comment sommes-nous capables d'articuler la question climatique, la question démographique et la question des frontières ? Ma réponse, c'est la liberté de circulation !

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La seconde, c’est que l'extrême droite ne se saisit pas de l'écologie uniquement pour l'instrumentaliser : ils parlaient mieux de la terre que ne pouvaient le faire des intellectuels progressistes dans le camp de l'émancipation !


Est-ce que vous reprendriez le mot d'ordre « il n'y a pas d'étrangers sur Terre » ?


Je comprends cette phrase comme un souci centriste d'inclusion. Mais de mon point de vue, elle n'a pas vraiment de sens. Il y a des étrangers, c'est un fait. Moi, je suis étrangère.


Je crois que la phrase voulait dire : il ne devrait pas y avoir de frontière sur Terre ! Qu'on est tous sur une même planète et on devrait avoir le droit de circuler, le droit d'aller comme on veut.


C'est une vraie question en réalité que vous posez. Si, il y a des frontières, elles sont là. Vous dites « il n'y a pas d'étrangers sur Terre ». C'est faux : on ne vit pas de la même manière, on n'est pas considérés de la même manière. On ne subira pas de la même façon les conséquences du dérèglement climatique. L'humanité est structurée par des rapports de domination, précisément avec une hiérarchie raciale, des rapports de classe, un système patriarcal : il faut dire cette hiérarchisation raciale et ses processus et ses mécanismes. En France en particulier, où on nous oppose l'idée que nous sommes tous citoyens du monde et qu'on ne voit pas la couleur de peau.


J'ai compris qu'il s'agit de dire : il ne devrait pas y avoir de frontières. Mais je préfère dire qu’il y en a. Quand on parle des frontières, j'ai l'impression qu'on se situe dans un champ plutôt moral. Ce qui est très bien, je suis pour plus de morale en politique. Mais j'aimerais que la question de la liberté de circulation et d'installation sans conditions soit inscrite dans le champ juridique.


Je me suis rendu compte depuis la sortie du livre notamment, que la question des frontières venait parasiter la question de la liberté de circuler. Les personnes à qui vous dites frontières, entendent no border et donc chaos. En réalité, ce n'est pas ce que je défends : il y a une frontière entre la France et la Belgique, mais vous êtes d'accord qu'on peut circuler librement et sans craindre de mourir entre la France et la Belgique ; la frontière franco-belge n'est pas ce cimetière qu'est la Méditerranée qui sépare l'Europe et l'Afrique. C'est ce pourquoi il faut se battre.


Pourquoi la liberté de circulation et d'installation sans condition n'est-elle pas un droit fondamental reconnu en droit international et dans le droit européen ? La seule explication c'est le racisme structurel et le rapport colonial qu'entretient l'Europe avec le Sud et avec l'Afrique en particulier.


Aujourd'hui, le droit international garantit le droit de quitter une terre ravagée par une catastrophe, une sécheresse, une guerre civile, mais il ne garantit pas d'être accueilli à bon port.



Là où il y a eu colonialisme, il y a effectivement racisme, et refus de la liberté de circulation.


On peut noter qu'il y a circulation, mais pas sans conditions ! C'est ce qui est intéressant. On pourrait dire qu'à cause des frontières, on circule peu. C'est faux. Ceux qui circulent le plus aujourd'hui entre l'Europe et l'Afrique, Ce sont ce qu'on appelle les saisonniers, les travailleurs agricoles, qui passent leur temps à circuler, parce que le capital a besoin d'eux : la condition ce sont les besoins du capital. Ils ne circulent pas sans conditions, ils ne sont pas libres.


Moi, je préfère qu'on soit sur ce terrain-là, juridique, il permet d'avoir un horizon. Des revendications et des débats qui pourraient avoir lieu à l'Assemblée nationale, au Parlement européen, à l'ONU, dans les ONG qui travaillent sur les enjeux climatiques, etc. Le débat est plus bordé quand on pose la question dans le champ juridique, hors débat sur les frontières, avec comme revendication la liberté de circulation comme droit fondamental.


L’écologie, la terre et la question de la dignité


Vous abordiez l’autre point d’entrée dans l’écologie : la question de la terre et de la dignité.


Oui, de l'égale dignité. Avec ce mot dignité, je reprends une analyse de Frantz Fanon dans Les Damnés de la Terre. Il fait le lien entre la nécessité de reprendre la terre et le besoin de retrouver sa dignité, de lutter contre cette sous-humanisation qu'a provoqué le système colonial. Et c'est vrai que c'est quelque chose qu'on entend peu dans le champ de l'écologie politique. Reprendre la terre, oui, s'ancrer dans la terre, mais pour retrouver de la dignité humaine. Voilà, le lien entre terre et dignité.


Je parle d'égalité dignité humaine pour, stratégiquement, mettre tout le monde d'accord sur la nécessaire lutte contre un système de classe, patriarcal et raciste. Et donc avec les féministes, les antiracistes, les anticapitalistes. L'horizon commun pour nous tous qui essayons de travailler ensemble et qui n'y arrivons pas encore aujourd'hui, c'est l'égale dignité humaine. Je suis engagée aussi sur les enjeux de libération animale : là aussi on parle de dignité, de dignité animale.


Pouvez-vous développer sur ce que vous disiez tout à l'heure, concernant le lien entre reprendre la terre, s'ancrer sur la terre et recouvrer sa dignité ?


Parlons des luttes de libération anticoloniale : quel a été le moteur de ces millions de personnes qui se sont levées contre le régime colonial ? Retrouver, et la terre, et la dignité ! Dans mon livre précédent, La puissance des mères, je parle justement des femmes algériennes au XIXe siècle qui chantaient des chansons à leurs enfants au moment de cuisiner, pendant les récoltes, qui leurs racontaient des histoires, des contes et leurs transmettaient de façon complètement intégrée à leur travail de femmes la nécessité, l’urgence de retrouver la terre et la dignité, que l’on ne retrouvera que si on retrouve la terre. L'une conditionne l'autre. Et c'est vraiment intéressant de voir comment se tisse ce lien entre terre et dignité : dans l’enfance, avec le quotidien du travail des mères.


Laisser de la place dans le champ de l'écologie politique à ces conteurs et conteuses, ces historiens, et historiennes, ces artistes qui portent ces héritages et ce patrimoine, nous enrichit considérablement.


D'où est venue pour moi l’idée de travailler à l'ancrage territorial, alors que je menais des combats antiracistes pour les quartiers populaires, écologistes ? J'ai travaillé longtemps pour la Commission nationale du débat public. Je ne connaissais pas alors les campagnes françaises, leurs populations. Je devais questionner les gens sur un grand projet de Centerparc, dans le Jura puis pour un autre en Bourgogne.

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Dans le Jura, ce furent des centaines de personnes qui sont venues de très loin participer au débat public, avec leur fourche, pour dire : « nous vivants, il n'y aura pas de Centerparc ici. ». Ils parlaient de leur terre en amoureux, fortement ancrés dans cette terre qu’ils connaissaient très bien ; à l'époque, le chômage y était de 6%.

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En Bourgogne, changement d'ambiance, 12% de chômage et un territoire désindustrialisé, des campagnes en déclin, une population travaillant à la ville, sans un fort ancrage territorial. Des entreprises dont les productions avaient de très grandes conséquences sur l'environnement, jouant l'environnement contre l'emploi : « on va créer de l'emploi grâce au center park ».A la fin du débat public, le promoteur envisageait son Centerparc en Bourgogne, et pas dans le Jura.

En revenant de ces débats dans les grandes métropoles, j’avais évolué : comment voulez-vous qu'on défende la terre si on n'a pas avec elle ce rapport amoureux avec elle, aussi fort que celui des populations dans le Jura ? La terre est une condition à l'engagement politique. Sans terre, sans lien à la terre, on ne peut pas vouloir la protéger !


Je suis arrivé à la conclusion dans L'écologie pirate : inutile de nous demander de protéger la terre si nous ne sommes pas considérés comme étant légitimes à l'habiter. Il a fallu que je passe par le Jura pour dire : « C'est notre terre aussi, et celle de nos enfants ».


Cet ancrage paysan à la terre, cette défense farouche de celle-ci, ce rapport à l’enfance et aux mères et pères, ce lien avec la dignité humaine n’existe pas vraiment dans l’imaginaire de l’écologie des centre-villes. C’est là une tout autre vision de l’écologie et du rapport à la terre me semble-t-il.


Personne dans les quartiers populaires ne se sent appartenir à ce projet d’écologie. Et EELV le sait bien et ne fait rien pour changer les choses. Et je pense aussi à ces campagnes, du Larzac et de Plogoff dont je parle dans le livre, où l'écologie a été très liée à la terre et populaire.


Une anecdote significative ! Lors des manifestations des Gilets jaunes, j’ai participé à un débat avec EELV à Montreuil et j’ai vivement soutenu ce mouvement : « la notion de justice, les questions de dignité, de démocratie, de la répartition des richesses, de fin du monde, de fin du mois, pour lesquelles ils manifestent nous intéresse ! Nous sommes avec les Gilets jaunes ! » La porte-parole du parti EELV de son côté avait mis un gilet vert et défendait la taxe carbone, et elle dénonçait un côté facho chez les gilets jaunes ! Et au lieu de se saisir de cette révolte pour élargir le mouvement populaire pour l'écologie et justement casser l’entre-soi, EELV inventait un symbole de distinction, le gilet vert !


Jean Christophe Goddard, philosophe et anthropologue qui a publié Ce sont d’autres gens, Contre-anthropologies décoloniales du monde blanc fait ressortir le savoir critique sur les hommes blancs que les sociétés confrontées au choc permanent de la violence coloniale ont développé depuis cinq siècles.

Votre ouvrage ainsi que celui de Jean Christophe Goddard montrent la richesse considérable et l’importance politique de l’histoire et de l’expérience des peuples que les occidentaux ont colonisés ; leur compréhension profonde de ce qu’est le réellement l’occident.

Ne devons-nous pas, nous Occidentaux, apprendre de ces peuples, comprendre ce que nous leur devons, pas uniquement sur le plan matériel du fait du pillage de leurs richesses, mais aussi du fait des connaissances qu’ils nous transmettent sur notre société tout au long de ces siècles de contacts ?


Vous avez raison de présenter le texte de cet auteur ! Il faut présenter de telles œuvres, il ne faut plus se contenter d’être vaguement décolonial. Dire que l'écologie est trop blanche n'est pas suffisant. Il faut amener des intellectuels, des penseurs, des poètes qui ont ce point de vue du Sud, « de l'autre côté », à s’exprimer dans nos champs politiques et militants. Il ne faut pas attendre que de l'intérieur on ouvre les portes, il faut arriver avec nos gros sabots et imposer ce point de vue, comme Frantz Fanon le faisait déjà ! Avec la collection Ecologie de la libération que je dirige aux Liens qui Libèrent, je travaille à cela.


Dans un texte Terre de retour, terre de repos, Nadia Yala Kisukidi[1] par exemple, parle de la terre dont on a besoin pour se reposer. Comme je viens de l’indiquer, la terre est ce pour quoi nous nous battons, sans terre on ne peut pas se défendre. Elle, nous dit, à nous qui venons de peuples qui ont été déplacés, qui ont migré, pour qui se battre est une injonction et qui ne peuvent pas bénéficier du privilège du repos : « notre terre est aussi un lieu du repos ! ». Voilà un beau texte qui ouvre des perspectives, des horizons.


Le Sud, la sécession et la libération


« Si l’extrême droite devait prendre le pouvoir en France, il serait de notre devoir, de notre responsabilité de faire sécession, afin de protéger les enfants et les populations qui risqueraient d’être prises pour cible » dites-vous dans votre conclusion. Et vous poursuivez : « Dans un contexte d’extrême droitisation et de fascisation du champ politique français et européen, un projet d’écologie politique et de décroissance qui ne place pas en son centre une ligne anti coloniale et anti raciste est voué à l’échec, tant que le système qui détruit le vivant repose tout entier sur la sous-humanisation d’une partie de l’humanité ».

Que pourrait être pour vous cette sécession territoriale ?


Je parle de territoires qui ont pu être marginalisés et dominés, où vivent des populations elles-mêmes marginalisées et dominées, et qui, à un moment donné, décident d'expérimenter ces options (je ne les ai pas inventées). Ainsi y a-t-il des expériences espagnoles, à Madrid, à Barcelone ou en Italie, où c'est une option de refuser un gouvernement d'extrême droite, et d’en appeler à une auto-organisation territoriale. La sécession territoriale que j'envisage n’est pas une sécession communautaire, au sens d'une communauté raciale ou une communauté religieuse, mais une communauté territoriale.


J’ai présenté cette option parce que je trouve que c'est vraiment intéressant d'y réfléchir et d’en parler. Comme sur le non-débat autour de la liberté de circulation, mettre la question sur la table permet ne serait-ce que d’en discuter, d'ouvrir des perspectives, de progresser. C'est la même chose pour la sécession : il faut un pavé dans la mare !


On n'en parle jamais, en sous-entendant que ces populations-là sont déjà bien heureuses de vivre en régime français, pour qui se prennent-t-elles d'oser imaginer faire sécession ? Ce n'est pas la même chose quand c'est Alain Badiou qui parle de sécession et quand c'est moi.

Cela peut passer pour de l'arrogance, mais je considère que ça fait partie de notre ancrage territorial : nous sommes tellement chez nous ici, que nous envisageons même de nous auto-organiser sur notre territoire et de refuser la gouvernance fasciste qu'on nous prépare. Dans le livre Pour une écologie pirate, je ne dis pas grand-chose en réalité concernant la sécession, mais pour moi, c'était déjà important symboliquement de dire que c'était une option, de la poser sur la table au regard de certains milieux censés penser l'émancipation et être à l'avant-garde. Ce n'est pas du luxe que d'y réfléchir.


J’y réfléchis vraiment dans un troisième livre sur l'organisation sociale, la sécession y est au centre.



Quand sortira-t-il ? Comment voyez-vous la démocratie dans une société libérée, libérée du colonialisme, du capitaliste et de l'idéologie de ce pouvoir ?


Le livre devrait sortir au deuxième semestre 2026, toujours à La Découverte. Là, il s'agit pour moi de réfléchir à la modalité de sortie du capitalisme, une projection à long terme. C'est un peu posé comme une utopie pirate dans Pour une écologie pirate. C’est une manière de boucler la boucle et d'être conséquente aussi, de reprendre des questions qui ont été ouvertes dans les deux premiers ouvrages. Concrètement, ça voudrait dire quoi, faire sécession ?

Et par exemple, la question de l'échelle territoriale est importante. La question aussi de la société à laquelle on aspire et qu'il faudrait organiser. Je lis beaucoup Bookchin en ce moment, les travaux concernant le municipalisme, le localisme, les expériences politiques en Espagne. Je m'intéresse énormément aux municipales de 2026, aux listes citoyennes en France hexagonale.

A cette étape, je peux en dire trois points :


La sortie du capitalisme : encore faut-il réfléchir à ce que ça veut dire sortie du capitalisme, car tout ce qu'on mange, respire, boit, porte comme vêtements, c'est le système capitaliste. Donc se pose vraiment la question de la subsistance.

 

Cela implique évidemment la question que vous sembliez soulever tout à l'heure, la question des frontières. La sortie du capitalisme passe selon moi par la sortie de l'Etat-nation.

    

Enfin il y a quelque chose à retrouver et à inventer dans l'organisation communautaire sur le territoire. La dimension communautaire de la démocratie m'intéresse beaucoup. Sachant que cette organisation communautaire est rejetée : la France s'est construite par rapport à cette menace. Plus précisément la France a construit, pour se construire, un danger communautariste.


La libération viendra principalement du Sud, vous le dites très clairement : « La sortie du capitalisme écocidaire ne se fera ni de façon civilisée, ni de façon barbare. Elle se gagnera grâce à une guerre de libération dont le centre se situera certainement dans le Sud Global. (...) Et en Europe, nous ferons notre part. » Pouvez-vous, en conclusion de cet entretien, développer cette idée évoquée dans L’écologie pirate ?


Le mouvement révolutionnaire de libération a eu lieu dans le Sud. On le sait peu et on le dit peu, mais ce sont les luttes de libération anticoloniales. Je ne veux pas être trop prophétique, mais je pense que ça sera encore le cas, que la libération viendra du Sud, et ne viendra pas d'Europe. Et pour des raisons très simples : il y a des intérêts ici en France et en Europe qui empêchent la remise en question conséquente du système capitaliste. Il y a une concentration d'intérêts.

Même si un certain nombre de personne remettent en question ce système, il n’y a pas le rapport de force ici. Le rapport de force, il est dans le Sud, qui a un potentiel insurrectionnel et révolutionnaire qui n'a rien à voir avec ce qu'on est capable de faire en Occident, en Europe et en France en particulier.


Mais ce que j'ajoute dans l'écologie pirate, c'est qu’il nous faut faire notre part. Et notre part, c'est aussi effectivement les alliances qu'on est capable de créer avec les luttes, les camarades, les réflexions, les pensées de l'autre côté de la Méditerranée.


Il faut retrouver, dans nos projections cette dimension internationaliste.

Comment on travaille avec des gens qui partagent le même projet, les mêmes horizons, en Afrique.


[1]Terre du retour, terre de repos  Nadia Yala Kisukidi, Edition Les Liens qui Libèrent collection Terres et Libertés Manifeste anti raciste pour u e écologie de la libération



Propos recueillis par Didier Raciné, rédacteur en chef de AltersMedia



 Retrouvez l'intégralité de l'entretien dans les Cahiers citoyens, écologistes et solidaires numéro 5.


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