Pour notre premier entretien, on est allé toquer au bureau 528 à la rencontre d'Aremacs, l'Association pour le respect de l’environnement lors des manifestations culturelles et sportives. Originaire de Lyon, cette asso festive et responsable œuvre depuis 20 ans pour la réduction des déchets lors d'événements. Son antenne Ile-de-France est installée à Césure, où nous avons rencontré Boris Voignier, responsable formation et animation.
Article de Étienne Morisseau
- Est-ce que tu peux me décrire les missions principales d'Aremacs ?
- En premier lieu, la gestion des déchets durant des événements culturels et sportifs. Concrètement, on accompagne les organisateurs en amont, puis on intervient lors de l'événement en montant des supports de tri et en mettant les mains dans la benne pour éviter les erreurs.
Ensuite, on fait aussi du plaidoyer, auprès des ministères ou des organisateurs d'événements, pour les inciter à la réduction des déchets et, si possible, faire évoluer la législation.
Mais avant tout, je pense que l'enjeu principal d'Aremacs c'est l'éducation, le partage de connaissances. Une mission d'éducation populaire sur la gestion des déchets.
- C'est de la sensibilisation du public ?
- De nous aussi. Je veux dire, quand on arrive chez Aremacs, il y a plein de connaissances qu'on n'a pas et qu'on acquiert sur le terrain, avec les collègues. On ne vient pas forcément du domaine des déchets avant Aremacs. On apprend sur le tas, et c'est aussi selon moi une des forces de l'asso. Je connais plusieurs entreprises qui bossent sur la gestion des déchets, mais qui ne font pas le tri dans leur bureau...
- C'est important que chaque salarié aille aussi sur le terrain, pour participer aux actions avec les bénévoles ?
- Hyper important ! Une amie m'a fait la réflexion lors d'un événement; c'est rare de voir un patron aller dans le dur. Là, il y avait Juliette (la responsable d'antenne, ndlr) qui était présente et qui mettait les bras dans la poubelle, comme tout le monde. Il n'y a pas de différence, on fait notre mission et c'est tout.
- Et ça se ressent. Pour avoir déjà participé à l'une de vos actions, on a vraiment cette impression d'un groupe de potes, juste là pour participer à l'événement.
- S'il n'y a pas de bonne ambiance, on a quand même les mains et la tête dans la poubelle. C'est difficile, donc on essaie de rendre ça amusant au moins.
- Est-ce qu'il y a un profil type de bénévoles ? On pourrait se dire que ça touche plutôt les jeunes générations.
- Principalement des jeunes en effet, mais au final, un peu de tous les profils en fonction de l'événement. On fait des courses sportives, des festivals, des salons... Cela permet de découvrir des événements où on ne serait pas forcément allés, de voir des artistes qu'on a envie de voir et aussi de voir l'arrière du festival, et ça, c'est très sympa.
- Tu vois devant toi un festivalier qui jette sa bouteille de bière dans le tout-venant, quelle est ta réaction ?
- "Ah, perdu !" Je vais le voir, je lui explique pourquoi il s'est trompé. C'est pas grave, ça arrive de se tromper, mais maintenant il sait.
- C'est quoi la réaction des festivaliers en général ?
- Plutôt bonne, on est assez gentil, on ne va pas les culpabiliser non plus. Et puis, ça m'arrive régulièrement de voir les gens mettre la main dans la poubelle, se salir la chemise ou le sweat pour aller chercher leur déchet. Pourtant, j'ai des gants, je peux le faire. Mais "non, non", la plupart du temps, ils tiennent à le faire eux-mêmes. Je me dis qu'à partir du moment où le gars a sali sa chemise pour récupérer une petite canette qui était dans les ordures ménagères, il devrait s'en souvenir pour le reste de l'événement.
- Et quand c'est le centième festivalier qui met un déchet dans la mauvaise poubelle, tu restes gentil ?
- Toujours, même si certains te donnent l'impression qu'ils n'en ont pas grand-chose à faire... Ils sont surtout un peu déçu du système de fonctionnement du tri. Mais on prend le temps de leur expliquer toute la démarche, qu'on met en place des filières de tri au maximum et qu'on va faire du surtri à la main. On prend le temps de les sensibiliser, et souvent ils changent de discours.
- "Déçu du système de fonctionnement du tri", ça veut dire quoi ? Ils ou elles considèrent que ça n'a pas d'impact de trier ?
- Tu sais, en Île-de-France, c'est 14 % des emballages qui sont recyclés.
Donc tu vois, c'est naze...
Ça, c'est les chiffres, c'est très mathématique, mais il y a aussi ce que les gens voient au bureau ou dans la rue. On leur dit de faire le tri chez eux, mais quand ils sortent, ils voient les agents de propreté prendre les sacs d'ordure ménagère, de tri, de verre et tout mettre dans la même benne. C'est décourageant.
- Les employés du service public ne sont pas formés à ces questions ?
- C'est justement quelque chose sur lequel on travaille, avec la Mairie de Paris notamment. Quand on bosse avec elle sur certains événements, on se rend bien compte du problème. Les agents doivent collecter rapidement les poubelles, ils sont pressés. S'ils voient un bac plein, ils la collecte, que ce soit du tri ou des ordures ménagères.
J'ai été éboueur dans une petite ville, et c'est vraiment différent en dehors de Paris. En général, tu ne fais qu'une collecte le matin au lieu des trois-huit. On prenait le temps d'ouvrir le couvercle, de vérifier les erreurs de tri. On connaissait les gens aussi, et on leur faisait des remarques quand il y avait une erreur. C'est peut-être aussi un problème de taille de la ville.
- Cela fait plusieurs années que tu travailles sur cette problématique, est-ce que tu as pu observer un changement de sensibilité sur ces questions-là ?
- Oui, aujourd'hui les gens connaissent plus le tri. Les enfants l'apprennent à l'école, ils vont un peu challenger les parents et donc les parents sont aussi plus au courant. Il y a encore quelques erreurs, mais ça commence à rentrer dans les mœurs.
Le problème qu'on rencontre souvent, c'est malgré une volonté de faire le tri, il n'y a pas de bac de tri chez soi ou à proximité. Donc, il faut faire preuve d'une grande volonté pour déplacer ses poubelles à un point de dépôt. Surtout qu'il n'y en pas dans tous les quartiers.
Mais bientôt la loi AGEC va entrer en vigueur, la loi anti-gaspillage économie circulaire qui va maintenant obliger les collectivités à mettre à disposition des citoyens et des citoyennes des solutions pour valoriser les biodéchets, notamment des bacs dédiés... Donc, normalement au 1er janvier de l'année prochaine, il y aura des composteurs de jardin ou des bacs dans les immeubles.
- C'est dans seulement trois mois, ça va être le cas dans chaque quartier de Paris ?
- Je pense que ça va prendre un peu de retard, sans trop de surprise. Mais il y a aussi des mairies qui ont pris de l'avance. Comme le partenariat avec Les alchimistes dans le 14e, qui ont mis en place des composteurs de quartiers avec une collecte régulière. Ou à Épinay, qui profite d'un centre de valorisation pas loin. Ils vont même collecter les biodéchets à cheval (son nom c'est "cutter").
On a tout à gagner à trier nos biodéchets, parce que ce sont des ressources non valorisées, qui polluent encore plus dans un incinérateur et dans un centre d'enfouissement. Dans le premier, il faut chauffer plus, parce que ce sont des déchets gorgés d'eau, et dans le second, ils vont émettre du méthane quand ils se décomposent. Donc, c'est important de bien les traiter.
"On aimerait bien qu'il n'y ait plus de déchets et être au chômage."
- Pour revenir à l'événementiel, est-ce que vous intervenez sur la coupe du monde de rugby ?
- Pas à Paris, mais à Marseille, Nantes et Bordeaux. Lyon aussi. Aremacs est présent sur les fan zones pour faire de la sensibilisation sur la réduction des déchets, mettre à disposition des supports et accompagner le tri avec des bénévoles durant l'événement.
- Que penses-tu de leur politique de gestion des déchets ?
- Dans les grands événements sportifs, en dehors des déchets, il faudrait prendre un compte tous les impacts environnementaux. Au niveau du transport, de l'alimentation, de l'approvisionnement en eau, etc.
Un grand événement sportif, ça pollue énormément, c'est ce modèle qui est à revoir. On a vu les joueurs de rugby venir en train depuis Lyon, c'est très bien. (Bon, le président est venu en jet...) Mais les autres joueurs ne venaient pas de France et ils ne sont pas venus à la rame, ni leurs supporters. C'est leur transport à tous qui va avoir un méga-impact. Il faudrait réussir à réduire la jauge de ces événements.
- Et les JO ? Après tout, ils sont présentés comme "les jeux les plus durables de l'histoire".
- Ils ont des fontaines à eau... sponsorisées par Coca-Cola.
- Pessimiste ?
- Réaliste. Les grands événements sont sponsorisés par des grandes boîtes. La coupe du monde de rugby par Total et les JO par Coca, le plus gros émetteur de plastique au monde. Donc tu vois, nous on va essayer de réduire les déchets, mais en même temps, c'est Coca qui sponsorise...
- En 2022, l'Union française des métiers de l'événement signe sa charte de responsabilité écologique. Quelques mois plus tard elle lance un plan d'urgence de sobriété énergétique. Et en juillet 2023, c'est la sortie d'une nouvelle version de Cléo, un outil qui permet de générer les bilans environnementaux et carbone d'un événement. Est-ce que pour toi, ça montre que le secteur prend en compte le défi climatique ?
- On est déjà très en retard sur ce sujet, les premiers rapports du GIEC ne datent pas d'hier. Le truc avec ça, c'est que c'est un peu à la mode, le carbone. Tout le monde fait des bilans carbone. Et l'effet rebond de cette mode, c'est qu'on ne va pas s'occuper de la biodiversité, de la santé humaine ou de la consommation énergétique.
- C'est un peu l'arbre qui cache la forêt ?
- C'est ça, il faut voir les choses de manière un peu plus holistique et pas juste quantifier le carbone et penser compensation. C'est ce que font souvent les gros événements, ils compensent, alors qu'il faudrait juste ne pas en émettre.
Chez Aremacs, on pense que l'événement est ponctuel, mais pas éphémère. On sensibilise les gens à bien faire le tri, pour qu'ils le fassent quand ils rentrent chez eux.
- Est-ce que tu peux me citer un événement que tu trouves intéressant dans sa gestion des déchets ?
- Alors, j'en ai deux :
D'abord les Pluies de Juillet.
Si je ne dis pas de bêtises, à la fin des trois jours de festival, les organisateurs ont dû sortir 18 sacs poubelles, pour une jauge de 4 000 festivaliers. Ils ont de vrais objectifs et vont peut-être aussi moins se prendre la tête que d'autres événements. Il y en a beaucoup qui se disent que les gens ne sont pas prêts, qu'ils ne vont pas vouloir porter leurs gobelets à la main ou vouloir laver leur vaisselle, donc on fait du jetable... On parlait de vaisselle réutilisable, eux ils sont allés en chercher chez Emmaüs la semaine d'avant. Plein d'assiettes dépareillées, mais en fait c'est juste des assiettes pour manger, les gens ils mangent et ils sont très contents.
Et l'autre c'est Amapola, sur lequel on est intervenus.
Là ce qui était intéressant c'est que le festival n'était pas concentré autour de la musique. Il y avait des conférences sur l'écoféminisme, des cours de self-défense, de fabrication DIY, des ateliers de théâtre ou autour de l'écologie... Et pendant ce temps là, le festival coupe le son. Donc ça oblige les gens à aller faire quelque chose, faire une sieste ou un cours de yoga. Et ça c'est très bien, parce que si tu prends We love green, qui a un super think tank avec plein d'intervenants géniaux, mais avec Booba ou Angèle en face de Timothée Parrique, ça empêche toute une partie du public de s'intéresser aux limites planétaires.
- Tes deux exemples concernent des événements à petite échelle. Est-ce que ces initiatives pourraient se transposer à plus grande échelle ?
- Et bien, We love green par exemple, a essayé la vaisselle réutilisable sur une partie des food trucks cette année. Cela a fonctionné, et là on réduit vraiment les déchets.
Et il n'y a pas que ça : le festival c'est 80 000 personnes, l'équivalent d'une ville. Et pendant quatre jours, tout le monde a mangé végétarien, a fait ses besoins dans des toilettes sèches, a utilisé des contenants réutilisables dans pas mal de cas... Donc on peut voir que c'est possible. Et ensuite, on montre aux collectivités que c'est possible qu'une ville se gère de cette manière.
- We love green, c'est un des pionnier des festivals écologiques en France ?
- Je ne dirais pas que c'est un festival écologique, parce qu'il a encore beaucoup d'impacts. Mais ce qu'il fait est louable, il faut qu'il continue dans ce sens. Après, il est quand même sponsorisé par des SUV...
- C'est quoi la pratique en événement qui te paraît la plus aberrante ?
- Les gobelets jetables. C'est pas grand-chose, c'est juste un gobelet, 5g en moyenne, ça parait anecdotique. Mais c'est un peu la base.
Aujourd'hui, on peut même imaginer que les gens apportent leurs gobelets en événement ; on en a tous dix chez nous. C'était le cas à Amapola, il fallait venir avec son gobelet, ils n'en distribuaient pas. Si tu préviens bien les gens en amont, il n'y a pas de problème. Ils ont peur que ça fasse fuir le public, mais il faut qu'ils comprennent qu'on va continuer à aller profiter de la musique et des événements, même s'il faut ramener sa gourde ou son gobelet.
Si tu utilises 14 fois un gobelet réutilisable de type Ecocup (Re-uz), il a un meilleur impact qu'un gobelet jetable. Après il faut le réutiliser 14 fois et ne pas en floquer de nouveaux à chaque festival...
- Est-ce que tu as un message, un conseil ou une reco pour quelqu'un qui est arrivé au bout de cette interview ?
- Un conseil ? Bien faire le tri !
Et aussi se dire qu'en tant que festivaliers, on a aussi du pouvoir. Les organisateurs font souvent des sondages, des petits questionnaires pour savoir ce que vous avez pensé de l'événement. Donc on peut leur dire : "Les gars, vous avez merdé à ne pas avoir de contenant réutilisable ou de raccordement à l'eau." Je pense qu'on a un petit devoir de challenger les orga.
- Tu peux me décrire Césure en une phrase ?
- Une grande coloc avec plein de gens très cool, tellement grande qu'on n'arrive pas à connaître tout le monde, mais c'est aussi ça qui est chouette. A chaque détour de couloir, on peut tomber sur... [en regardant l'affiche de Césure au mur] "un savoir inattendu". Des trucs, tu ne savais même pas que ça existait et c'est génial.
Et du coup à Césure, faites le tri, les césuriens et césuriennes !
A noter : Les JEER (Journées de l'événement écoresponsable) grands format à Lyon les 29 et 30 novembre 2023 ! Pour plus d'infos, voici le récap de l'édition 2021.
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