Soulèvements associatifs : la mobilisation face à une démocratie menacée
- Nicolas Bigards
- 16 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 15 heures
124 ans après l'adoption de la loi de 1901, socle historique du droit associatif en France, le secteur associatif tire aujourd'hui une sonnette d’alarme sans précédent. Confrontées à des attaques répétées menaçant leur indépendance et leur pérennité, les associations multiplient les alertes, dénonçant des difficultés croissantes et réaffirmant leur rôle vital dans la défense de la démocratie, du lien social et de l’émancipation citoyenne.

de Nicolas Bigards
Une loi historique en péril : contexte et enjeux contemporains
La loi du 1er juillet 1901 garantit la liberté associative, permettant à des millions de citoyens français de s’organiser librement pour défendre des causes telles que l’éducation populaire, les droits sociaux, l’environnement, ou encore les libertés individuelles. Historiquement adoptée dans un contexte de défense contre les excès d’autoritarisme étatique, elle a favorisé un tissu associatif riche, diversifié et essentiel à l’équilibre démocratique du pays.
Aujourd’hui, plusieurs mesures récentes mettent en péril cette architecture législative. Parmi elles, le "contrat d’engagement républicain" fait figure de symbole : ce dispositif impose aux associations des obligations de conformité vagues et extensibles, permettant à l’administration de suspendre ou supprimer des subventions sur des motifs idéologiques. Des associations se sont ainsi vu retirer leurs financements pour avoir exprimé des critiques à l’encontre de politiques publiques ou pour avoir soutenu des mouvements sociaux. Ce glissement progressif vers une logique de conditionnalité politique du financement public remet en cause la neutralité de l’État vis-à-vis des libertés associatives.
L’alerte des acteurs associatifs : témoignages détaillés et sectoriels
Carine Favier, représentante du Planning Familial, souligne avec gravité : « Une société sans asso, c'est une société en morceaux ». Elle rappelle qu’au-delà de la défense des droits des femmes, le Planning Familial joue un rôle fondamental dans l’éducation à la sexualité, la lutte contre les violences, et l’accompagnement des jeunes. Pourtant, certaines antennes locales font face à des restrictions d'accès aux établissements scolaires, à des pressions sur les équipes éducatives, voire à des menaces ciblées de groupuscules conservateurs. La multiplication des contentieux et la nécessité de se défendre en justice entament l’énergie militante et les budgets associatifs.
Benjamin Gayon, ancien coordinateur général d’Ingénieurs Sans Frontières (ISF) et membre du CRID, témoigne d’un climat général d’asphyxie. Il explique que la baisse des financements publics et le renforcement des exigences bureaucratiques créent une tension permanente : "on passe plus de temps à justifier pourquoi on existe qu’à agir sur le terrain". Le retrait progressif de l’État dans les politiques de coopération internationale a également entraîné la fragilisation des partenariats dans le Sud global. Des projets portés depuis des décennies se voient interrompus du jour au lendemain, au détriment des populations les plus vulnérables. Cela souligne aussi l’impact colonial toujours latent dans la manière dont sont traitées les solidarités internationales, dès lors qu’elles ne s’alignent pas sur les discours dominants.
Laetitia Lafforgue, coprésidente de l’UFISC (Union Fédérale d'Intervention des Structures Culturelles), dresse un constat alarmant : « La culture est perçue comme un supplément d’âme, alors qu’elle est un levier d’émancipation et de transformation sociale ». Elle rappelle que de nombreuses structures culturelles implantées en milieu rural ou dans les quartiers populaires remplissent une mission de service public, souvent sans en avoir les moyens ni la reconnaissance. Les baisses de subventions frappent en priorité les lieux indépendants, les collectifs émergents, les compagnies en création. "On ne produit pas pour le marché, donc on est invisibles."
Audrey Gondallier, coordinatrice nationale de Pas-sans-nous, syndicat des quartiers populaires, met l’accent sur le traitement discriminatoire réservé aux structures issues des territoires populaires. « Nous sommes vus comme des suspects par défaut ». Elle évoque des contrôles administratifs intempestifs, des mises en demeure injustifiées, des refus de subvention sur la base de soupçons infondés. Plus encore, elle dénonce le deux poids deux mesures : quand les habitants s’organisent de manière autonome, leur parole est disqualifiée ; quand des grandes structures institutionnelles interviennent, elles sont valorisées sans concertation.
Résistance collective et organisée : stratégies, outils et mobilisations avec les Soulèvements Associatifs
Face à cette situation critique, les associations se dotent de nouveaux moyens d’action. Des événements structurants comme les Universités d’été des mouvements sociaux et solidaires ou les rencontres PopMind permettent de penser la riposte collectivement. Des outils novateurs tels que la Carte des crises, qui recense les cas d’atteintes aux libertés associatives, ou l’Observatoire des libertés associatives, lancé en 2019, permettent de documenter, alerter, et offrir une contre-expertise face à la parole institutionnelle.
Les associations s’appuient aussi sur le droit : des recours ont été portés devant les tribunaux administratifs pour contester les retraits de subvention abusifs. Certaines victoires judiciaires récentes constituent des précédents encourageants. Par ailleurs, un travail de documentation militante se développe, avec des récits de terrain, des cartographies participatives, et des archives collectives permettant de visibiliser les dynamiques d’oppression administrative.
Ce travail de veille se double d’un travail de plaidoyer constant : plusieurs collectifs interassociatifs ont déposé des recours juridiques, organisé des campagnes d’interpellation publique, et sollicité les défenseurs des droits. Des guides juridiques, fiches pratiques, et modèles de réponse au contrat d’engagement républicain sont mis à disposition, renforçant la capacité d’autodéfense du monde associatif. En parallèle, des plateformes numériques d’entraide émergent, permettant aux structures de partager leurs expériences et de co-construire des stratégies de résistance face aux attaques institutionnelles.
Atelier des lois à l’Assemblée Nationale : une démarche participative ambitieuse
C’est dans ce contexte qu’est née l’idée d’un Atelier des lois, porté par Sarah Persil et Ulf Clerwall. Loin d’une concertation formelle, ce processus s’inscrit dans la tradition des ateliers législatifs citoyens : co-écriture, aller-retour entre acteurs de terrain et juristes, implication d’élus dans un rôle d’écoute. L’ambition est claire : redonner aux associations un cadre protecteur et affirmé, ancré dans la Constitution. Parmi les propositions : rendre inconditionnel un socle minimal de financement public pour toute association remplissant une mission d’intérêt général, inscrire un principe de non-discrimination dans l’accès aux subventions, interdire la dissolution administrative sans recours contradictoire préalable.
Au-delà de ces propositions, l’atelier cherche à revaloriser une culture juridique partagée. En s’appuyant sur le droit pour mieux le transformer, les associations deviennent actrices d’une refondation démocratique. Cette dynamique vise aussi à produire des lois en lien avec les réalités de terrain, et non comme de simples injonctions descendantes, souvent inadaptées.
Un appel fort à l’engagement politique des associations
Sarah Persil va plus loin : pour elle, les associations doivent se réapproprier le champ politique. "Trop souvent, on pense que rester neutre politiquement, c’est ne rien dire. Mais défendre les droits, c’est déjà faire de la politique. Alors autant le faire à visage découvert, et avec des alliés." Elle appelle à ce que les militantes et militants du monde associatif se présentent aux élections, participent aux conseils citoyens, investissent les instances de concertation, pour mieux peser sur les choix structurants.
Ce positionnement se double d’une invitation à repenser la démocratie elle-même : plus horizontale, plus participative, plus ancrée dans les pratiques collectives. Dans un monde en proie à la polarisation et à la méfiance, les associations peuvent redevenir des espaces de confiance, de débat contradictoire, et de construction de communs.
Conclusion : défendre les associations, c’est défendre la démocratie
Ce que révèlent les tensions actuelles, c’est moins une crise conjoncturelle qu’un basculement de fond : d’un État garant de la vie associative à un État qui cherche à en encadrer la parole. Face à cela, le monde associatif n’est pas seulement en résistance : il est force de proposition, d’innovation et de démocratie vivante. Soutenir les associations, c’est renforcer le pouvoir d’agir des citoyens, la justice sociale, et la pluralité d’expression. Plus que jamais, le combat pour les libertés associatives est le combat pour une démocratie pleine et entière. Il est urgent d’en faire une priorité collective, et non une variable d’ajustement budgétaire ou idéologique.
Cet article est issu de l’émission spéciale enregistrée le 1er juillet 2025, animée par Jean-Baptiste Jobard (Collectif des associations citoyennes)
Comments