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« Un budget d’appauvrissement général» : l’économie sociale et solidaire sonne l’alarme

Dernière mise à jour : il y a 1 jour

de Nicolas Bigards



“Les oubliés du budget” — Quand le vote du budget 2025 efface des visages bien réels : ceux des associations, des travailleurs précaires et de l’économie sociale et solidaire.
“Les oubliés du budget” — Quand le vote du budget 2025 efface des visages bien réels : ceux des associations, des travailleurs précaires et de l’économie sociale et solidaire.



À quelques jours de l’ouverture du Forum mondial de l’économie sociale et solidaire (GESF) à Bordeaux, le ton est grave. Réunis à l’initiative d’ESS France, Benoît Hamon et plusieurs grandes voix du secteur ont dénoncé, lors d’une conférence de presse à Paris, un projet de loi de finances 2025 qui fragilise les plus vulnérables et étouffe les structures qui les accompagnent.


« Ce n’est pas un budget d’austérité, c’est un budget d’appauvrissement général », a lancé Benoît Hamon, président d’ESS France, en ouvrant la conférence. L’ancien ministre, aujourd’hui figure de l’économie sociale et solidaire (ESS), a résumé en une phrase le sentiment partagé sur l’ensemble du terrain associatif et solidaire : le gouvernement s’attaque aux plus pauvres en même temps qu’il désarme celles et ceux qui œuvrent à leurs côtés.

 

Une pauvreté record, une indifférence politique


Selon les derniers chiffres de l’INSEE, 15,4 % des Français vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté — le taux le plus élevé jamais mesuré. Dans le détail, le nombre de travailleurs pauvres augmente, tout comme celui des retraités et des jeunes en situation de précarité.« On a une aggravation continue de la pauvreté, et pourtant des politiques publiques qui étranglent les organisations qui garantissent l’accès aux droits fondamentaux : santé, logement, emploi, alimentation », a martelé Hamon.


ESS France avait convié autour de lui plusieurs acteurs majeurs du champ social pour démontrer, chiffres à l’appui, la gravité de la situation : le collectif Alerte, les réseaux de l’insertion par l’activité économique (IAE), le Mouvement associatif et l’Union des employeurs de l’ESS (UDES). Tous ont dressé le même constat, celui d’un budget 2025 qui, sous couvert de rigueur, produit de la régression sociale.


“On frappe ceux qui ont le moins”


Pour Delphine Rouilleault, présidente du collectif Alerte, le gouvernement commet une erreur historique. « Face à un taux de pauvreté inédit, la première chose à faire, c’est de ne pas taper sur le dos de ceux qui ont le moins. » La mesure la plus symbolique, et la plus dénoncée, est celle du gel des prestations sociales, qui concerne aussi bien les allocations familiales, que les aides au logement, RSA, retraites ou autres allocations adultes handicapés. « Le gouvernement prétend que ce gel aura peu d’impact parce que l’inflation aurait été faible. C’est une méprise totale. » 

 

Selon les études de l’IPP et de l’OFCE, cette décision est « profondément anti-redistributive » : elle frappera d’abord les 25 % des ménages les plus pauvres. Benoît Hamon a, lui, dénoncé « l’immoralité absolue » de la logique à l’œuvre.


« On trouve normal d’enlever 2 % de pouvoir d’achat aux pauvres, mais on refuse 2 % de taxe sur les 1 500 fortunes les plus riches. »


Insertion : “On nous coupe un bras, puis une jambe”


Les acteurs de l’insertion par l’activité économique, réunis au sein du collectif IAE, ont alerté sur l’onde de choc à venir. David Horiot, président de Chantier École, rappelle que le secteur regroupe 6 000 structures accompagnant 300 000 personnes par an vers l’emploi. « En 2025, on nous retire 50 millions d’euros. Cela veut dire 11 000 parcours d’insertion supprimés. En 2026, ce sera 237 millions de moins, soit 60 000 personnes privées d’emploi d’insertion. »L’image est brutale. « En 2025 on nous coupe un bras, en 2026 on nous coupe une jambe, et là on tombe. » Les fermetures se multiplient déjà, avertit-il : « Hier encore, une ferme biologique en Normandie a fermé, faute de financements. »

 

Tarek Daher, délégué général d’Emmaüs France, a quant à lui évoqué les mesures attendues pour stabiliser le secteur. « Il faut d’abord rétablir le nombre de postes conventionnés par l’État à leur niveau de 2024, ajusté à l’inflation. Cela permettrait à environ 300 000 personnes par an de suivre un parcours d’insertion vers l’emploi. Les coupes actuelles, c’est 20 000 équivalents temps plein en moins : 60 000 personnes privées d’emploi d’insertion demain. » Il a également plaidépour la reconstitution du Fonds de développement pour l’inclusion, supprimé ces dernières années. « Ce fonds permettait de soutenir les structures en difficulté. Quand une structure ferme, c’est tout un écosystème social et économique qui s’effondre. Nous demandons qu’il soit réabondé à hauteur de 40 millions d’euros. » Enfin, il a insisté sur le rôle de la formation. « En 2024, 47 000 stagiaires ont pu suivre des formations grâce au Plan d’investissement dans les compétences, dont 40 % de femmes. Si ces financements diminuent, c’est toute la chaîne de l’insertion qui se brise. »


Associations : “Sans nous, la société perdra le combat”

 

« Ça ne tient plus », lançait la mobilisation inédite du Mouvement associatif le 11 octobre dernier. Sa présidente, Claire Thoury, reprend aujourd’hui le même cri d’alarme. « On a le sentiment qu’on demande un service à l’État, alors que c’est notre modèle social qui tient grâce à l’action associative. »


Le verdict du budget 2025 est sans appel : 1 milliard d’euros de coupes pour les associations, dont 40 millions pour le sport, 24 millions pour la politique de la ville, 12 millions pour les tiers-lieux, et presque 50 % de baisse pour les radios associatives. « On a plus de besoins et moins de moyens : mécaniquement, ça ne peut pas fonctionner. » Le ton est grave, mais la conviction demeure. « Sans les associations, nous perdrons le combat. Et si tous les dégoûtés partent, il ne restera que les dégoûtants — et ça ne tiendra pas. »


“D’un modèle de solidarité à un modèle de charité”


David Cluzeau, directeur de l’UDES, a replacé cette crise dans une perspective plus large : celle d’une transformation du modèle social français. « On passe d’un modèle fondé sur la solidarité nationale à un modèle philanthropique », a-t-il déploré, citant la proposition d’une “conférence de la générosité” avancée par le gouvernement. Il a dénoncé un double discours : d’un côté, on supprime les impôts de production pour les entreprises lucratives ; de l’autre, on maintient une taxe sur les salaires qui rend l’emploi dans l’ESS plus coûteux de 8 à 10 %.

 

« L’emploi dans l’ESS est aujourd’hui le plus coûteux de France. On veut bien parler de plein emploi, mais il faut donner aux structures de l’ESS les moyens d’y contribuer. » Pour David Cluzeau, cette politique est une erreur économique majeure. «Si l’économie sociale s’effondre, l’économie tout entière s’effondrera avec elle. C’est un mauvais pari que de penser qu’en affaiblissant le secteur associatif, on renforcera la croissance. »


Un forum sous tension à Bordeaux


L’avertissement tombe à point nommé. Dans quelques jours, le Forum mondial de l’économie sociale et solidaire (GESF) réunira à Bordeaux plus de 2 000 participants venus du monde entier. ESS France et ses partenaires comptent y porter haut la voix d’un modèle solidaire mis à mal par la politique budgétaire française.


« Nous serons les porte-étendards de ces femmes et de ces hommes que ce budget frappe en silence », a conclu Benoît Hamon.


Le GESF de Bordeaux pourrait ainsi devenir, au-delà d’un rendez-vous international, un moment de vérité pour l’économie sociale et solidaire française — celle qui refuse de renoncer à ses valeurs de justice, de dignité et d’humanité.


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