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Libertés associatives : des associations refusent le bâillon

de Nicolas Bigards



Les associations face au contrôle de l'État.
Les associations face au contrôle de l'État.

C’est une riposte venue du terrain. Cent deux associations de toute la France, parmi lesquelles Télé Millevaches et le journal IPNS, ont saisi le Haut Conseil à la vie associative (HCVA) pour dénoncer les dérives du Contrat d’engagement républicain et la mise sous tutelle progressive du monde associatif.


 

Un acte inédit face à une dérive installée


Depuis plusieurs mois, les témoignages d’associations privées de subventions ou mises en cause pour “non-respect du Contrat d’engagement républicain” se multiplient. Cette fois, la riposte s’organise. Cent deux associations issues de quarante-sept départements ont saisi officiellement le HCVA, une instance consultative placée auprès du Premier ministre et composée de vingt-cinq personnalités du monde associatif.


Cette saisine collective, rendue possible par la loi, marque un tournant. « Nous ne contestons pas le principe du Contrat d’engagement républicain, mais son application dévoyée. Il est devenu un outil d’intimidation plutôt qu’un garant des libertés », rappellent les signataires dans leur communiqué commun.


Les associations demandent au Haut Conseil de se prononcer sur deux questions qui touchent au cœur du fonctionnement démocratique : comment garantir que le Contrat d’engagement républicain soit appliqué de manière claire, régulée et strictement conforme à la loi ? Et comment assurer la transparence des décisions publiques lorsqu’une association se voit sanctionnée sans justification explicite ?


Le Contrat d’engagement républicain, ou la tentation du contrôle politique


Adopté en 2021 à la suite de la loi “confortant les principes de la République”, le Contrat d’engagement républicain (CER) oblige toute association sollicitant une subvention publique ou un agrément à s’engager à “respecter les valeurs de la République”. Dans les faits, ce texte flou et moralement chargé a ouvert la porte à des interprétations arbitraires.


Derrière des formules consensuelles – respect de la dignité humaine, égalité entre les femmes et les hommes, respect du symbole républicain – se cache un risque : celui du jugement politique. « Le CER est devenu un instrument de tri moral. On ne juge plus des actes, mais des opinions », dénonce un collectif signataire.


Depuis trois ans, des cas emblématiques se sont multipliés. Ici, c'est une subvention retirée à une association féministe pour un communiqué jugé “trop radical”, là, une mairie qui coupe les vivres à un collectif d’aide aux migrants accusé de “manquer de neutralité”. Des structures écologistes, culturelles ou sociales ont vu leurs financements suspendus pour avoir critiqué une politique locale ou nationale (quelques exemples à lire Les associations dans le viseur). Ces décisions, souvent sans justification écrite, alimentent un climat d’autocensure. « Les associations apprennent à se taire pour survivre. C’est la pire atteinte à la démocratie : quand la peur remplace la parole », confie une association d’éducation populaire.


Exiger la clarté, rétablir la transparence


Les associations demandent que le Contrat d’engagement républicain soit strictement encadré et appliqué dans un cadre clair et régulé. Pour elles, il n’est pas acceptable que la conformité à des “valeurs” puisse dépendre de la sensibilité politique d’un élu ou d’un fonctionnaire. « Il faut mettre fin à l’arbitraire. Le Contrat doit être appliqué selon des critères précis, transparents, opposables et conformes à la loi, sans intrusion morale ni politique », plaident les signataires.

Elles exigent également que toute décision de retrait de subvention ou d’agrément fasse l’objet d’une motivation écrite, publique et argumentée, conformément aux principes du droit administratif. « Lorsqu’une association est sanctionnée sans explication, c’est toute la confiance démocratique qui vacille. L’État de droit, c’est aussi la lisibilité des décisions », rappellent-elles dans leur saisine.


Un climat de suspicion généralisé

 

Ce qui se joue dépasse le cadre administratif. Depuis 2021, nombre d’associations vivent sous un régime de loyauté idéologique inédit. Les attaques ne sont plus seulement financières, elles deviennent morales. Les chercheurs Julien Talpin et Antonio Delfini, dans L’État contre les associations (Éditions Textuel, 2025), parlent d’un “glissement autoritaire silencieux” où les associations sont évaluées non plus sur leur utilité, mais sur leur conformité politique.

« Les attaques ne sont pas toujours frontales, mais souvent sournoises : elles se dissimulent derrière des prétextes financiers ou administratifs », écrivent les membres de Télé Millevaches et d’IPNS. Dans ce climat de suspicion, les associations les plus critiques ou engagées sur des sujets sensibles deviennent les premières cibles.


Une parole collective inédite


À Millevaches, Télé Millevaches et le journal IPNS ont décidé d’unir leurs forces pour dénoncer ce “glissement autoritaire silencieux”. Leur initiative est soutenue par cinquante-huit autres structures d’éducation populaire et de l’économie sociale et solidaire. C’est la première fois qu’une coalition d’associations de l’information et de l’éducation aux médias engage une saisine collective auprès du HCVA.


« Nous refusons que les libertés associatives soient la variable d’ajustement d’une société qui se crispe », écrivent les signataires. Le collectif espère que le Haut Conseil à la vie associative publiera un avis fort et public, afin de réaffirmer les principes d’indépendance, de pluralisme et de participation citoyenne.


Une question démocratique avant tout


Le monde associatif n’est pas un sous-traitant de l’État : il est un espace autonome de débat, de solidarité et d’émancipation. Réduire cette vitalité à une logique de conformité administrative revient à étouffer la démocratie vivante. « Sans liberté d’association, il n’y a pas de liberté tout court », conclut le communiqué.


Cette saisine du HCVA pourrait bien devenir un moment décisif pour la démocratie associative — et un test pour savoir si la République accepte encore la contradiction.


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