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Loi immigration : L’avenir des mineurs non accompagnés en France reste menacé, selon les défenseurs des droits de l’enfance et les professionnels.

Dernière mise à jour : 12 mars


Que prévoit la controversée loi immigration portée par Gérald Darmanin concernant les enfants mineurs non accompagnés (MNA) ? Censurée en partie par le Conseil Constitutionnel, la loi continue pourtant de préoccuper défenseurs des droits de l’enfance, éducateurs et jeunes, les principaux concernés. 


Reportage de Noémie Mayetela. 


Droits d'auteur : Noemie Coissac / Hans Lucas


C’est après une partie de cartes avec ses camarades, dans une classe de Notre-Dame,  à la Fondation Apprentis d’Auteuil à Saint-Maurice-Saint-Germain (à 35 km de Chartres en Eure-et-Loire) que nous avons rencontré Dris* pour comprendre comment il appréhende son futur en France, après le vote de la loi immigration. À la question “As-tu un rêve?”, Dris répond en souriant que “Non. Je n'ai aucun rêve. Mon premier rêve c’est d’avoir une famille, une copine, une maison et une voiture.” poursuit-il simplement. Après avoir quitté l'Afghanistan, traversé la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, l’Autriche et la Suisse, Dris est arrivé à 17 ans en France. Le 25 janvier dernier, les neuf sages du Conseil Constitutionnel ont censuré un tiers des articles de la loi défendue par le ministre de l’Intérieur, jugés non conformes à la Constitution, ou encore sans lien avec la loi initiale.


En ce qui concerne les mineurs non accompagnés, six articles ont été revus et cinq ont été maintenus. Suite à cette décision, Adeline Hazan, présidente de l’UNICEF France a déclaré dans un communiqué que l’organisation se montrait “soulagée de les voir supprimés” mais “demeure préoccupé par le maintien de plusieurs dispositions qui [...] semblent toutefois incompatibles avec le respect des droits de l’enfant, et notamment de l’intérêt supérieur des enfants en situation de migration”. En effet, sont particulièrement visés l’article 20 portant sur les niveaux de langue en français allant avec la formation civique en lien avec le contrat d’intégration républicaine et la naturalisation ; l’article 39 qui prévoit la création d’un fichier des mineurs non accompagnés délinquants, rassemblant leurs empreintes digitales et une photographie, sans que leur consentement soit nécessaire ; et l’article 44 promettant l’exclusion de l’aide sociale à l’enfance des “anciens MNA”, âgés de 18 à 21 ans, visés par une obligation de quitter le territoire (OQTF). 


En 2023, 19 370 nouveaux jeunes ont été reconnus mineurs non accompagnés à leur arrivée en France.


Quelles difficultés rencontrées par les jeunes et accompagnants lors de la prise en charge vont s'intensifier après la mise en place de cette loi ? Sandrine, enseignante aux Établissements Notre-Dame-Apprentis d’Auteuil a mis en place le dispositif  “Mosaïque”, dont Dris fait partie.  Ce dispositif est un espace ouvert aux jeunes de 17 ans, souvent arrivés tard en France et ayant un faible niveau en français.

“C’est un projet tourné vers l’intégration, par la culture et la citoyenneté. La classe “Mosaïque” est destinée à ceux pour qui il faut très vite trouver une solution de scolarisation ou une formation à l’approche des 18 ans”.

À travers le brouhaha de la classe, Dris essaye de se faire comprendre, non sans difficultés. Il témoigne : Ici, on m’aide, on m’écoute. Avant, c’était compliqué car je ne parlais pas le français. Maintenant, je prends des cours”. Sandrine  explique que l'urgence lui est devenue familière, qu'elle est un paramètre avec lequel il faut travailler, surtout à l'arrivée de la majorité des mineurs non accompagnés : “À six mois de leurs 18 ans, c’est l’angoisse totale. Il y a les papiers à déposer à la préfecture, pour la régularisation, et en fonction des départements, le temps de traitement n’est pas le même. Et chaque département mène sa propre politique :  certains jeunes ne sont suivis que jusqu’à leurs 18 ans et trois mois”.


À cela s'ajoutent les difficultés en français, des troubles dans l'apprentissage dû en partie aux traumatismes de leur parcours migratoire et un certain décalage avec le système scolaire français. Elle revient sur l’article 20 et 21, sur le niveau en FLE : Scientifiquement, il faut au moins trois à cinq ans pour apprendre et être à l'aise dans une langue autre que la langue maternelle. Puis, il faut trouver une formation qualifiante. Il nous faut plus de temps”.  La loi immigration de Gérald Darmanin "n’arrange rien", selon cette professeure de français : “Ce qui va nous impacter dans la prise en charge, ce sont les OQTF (obligations de quitter le territoire) et les contrats jeunes majeurs (contrat qui permet aux jeunes pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance de prolonger les aides  et les accompagnements dont ils bénéficient pendant leur minorité). Un môme sans contrat jeune majeur, il ne peut rien faire. Il faut trouver un CAP ou une formation en apprentissage pour que le jeune subvienne à ses propres besoins”.


Dris, explique fièrement  qu’il a déjà travaillé en Turquie où il a passé un an : “J’ai travaillé là-bas. J’ai fait de la peinture et j’ai travaillé dans un restaurant. Et, j’ai fait des stages dans l’électricité. Quand j’aurai les papiers, quand j’aurai terminé, j’aimerais travailler”. Selon Driss, la loi immigration “ne va pas le toucher”. Sandrine, qui l’accompagne, raconte qu’elle et ses collègues éducateurs et éducatrices essayent de protéger les jeunes : “Ils veulent qu’on leur explique. Ils sont inquiets sans le montrer, ce sont des jeunes qui ont appris à vivre au jour le jour”. À l’instar de l'UNICEF France, la Fondation Apprentis d’Auteuil, comme beaucoup d’associations pour la protection de l’enfance, se positionne contre ce texte. Egidia Pichon-Leng, cheffe de projets protection de l’enfance et MNA du pôle protection de l’enfance d’Apprentis d’Auteuil dénonce une loi “régressive en termes de droit et de dignité”.

 

“On ne leur permet pas de rêver”

Egidia Pichon-Leng revient avec la rédaction de lemoment.org sur la loi immigration, “C’est une catastrophe humaine, sociale et humanitaire”. Chargée de projets à la Fondation Apprentis d’Auteuil depuis trois ans, cette juriste de formation dénonce les difficultés déjà rencontrées dans la prise en charge des mineurs non accompagnés en France : “[à l’arrivée des MNA en France] il n’y a pas de mise à l’abri. Il y a un problème avec la question de l’évaluation. La temporalité est trop longue, on n'a pas le temps. Il n’y a pas d’accès à la santé ou à la scolarité”. Elle ajoute qu'il n'y a ni prise en charge psychologique, ni financement, ni cours de français : “On ne leur propose pas un parcours de choix, mais un parcours de contraintes. On ne leur permet pas de rêver”. La Fondation des Apprentis d’Auteuil prend en charge 1800 mineurs et s'indigne du “vote d’un texte stigmatisant et inefficace”. À propos des articles maintenus concernant les mineurs non accompagnés, Egidia Pichon-Leng remet en cause la financiabilité de mise en place d’une telle loi : “Avec l’article 20 et 21, on demande un niveau en français plus élevé, on accentue le niveau en FLE (Français Langue Etrangère). Il faut trouver les moyens et des moyens pour spécifiquement ouvrir des classes de FLE adaptées aux jeunes MNA, en termes de places et de programme pédagogique”. En outre, les articles 39 et 44, en plus d’être, selon Egidia Pichon-Leng, “discriminatoires et contraires à la Constitution", représentent un “recul des droits des enfants” : “C’est n’importe quoi. C’est mettre des gamins à la rue juste pour les rendre plus précaires et vulnérables pour qu’ils rentrent chez eux”. L’article 39 (sur la création d’un fichier des mineurs non accompagnés délinquants) formerait une infraction à la loi. L’article 44 de son côté (sur l’exclusion de l’aide sociale à l’enfance des ex-MNA visés par une OQTF) serait contraire à la loi Taquet sur la protection de l’enfance initialement votée en février 2022, puisque excluant les anciens mineurs non accompagnés au “contrat jeune majeur”. Egidia Pichon-Leng s’insurge : “Je ne sais pas du tout comment on va faire”. 


“Régressive en termes de droit et de dignité” pour la cheffe de projets du pôle protection de l’enfance d’Apprentis d’Auteuil, la loi immigration reste nécessaire pour protéger les Français selon le gouvernement. Auditionné par la Commission des lois de l’Assemblée Nationale en novembre 2023, le porteur de la loi Gérald Darmanin, sur ces points, plaide pour la sécurité des Français. Il propose de permettre l’expulsion des personnes étrangères arrivées en France avant 13 ans lorsqu’elles “représentent une menace pour l’ordre public, la République et qu'elles sont visées par une OQTF”. Le ministre de l’Intérieur explique : “On ne peut pas éloigner des personnes arrivés en France, avant 13 ans, qui ont commis des délits car il existe des réserves d’ordre public, créées par des législateurs dans le début des années 2000 et qui empêchent le ministre de l’Intérieur de faire son travail”. Il ajoute : “Je propose qu’on puisse supprimer ces réserves d’ordre public [...], pour que nous puissions expulser les étrangers non pas par rapport à leur statut d’arrivée sur le territoire national, mais par rapport à ce qu’ils font contre la Nation”.


*certains noms ont été modifiés.

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