Quatre questions à Jean-Baptiste Jobard, coordinateur général du Collectif d'associations citoyennes
- Le Moment 
- 20 août
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 oct.
Dans un contexte où les libertés associatives se resserrent et où la marchandisation fragilise l’action citoyenne, le Collectif des Associations Citoyennes (CAC) participe activement à l’Université d’été des mouvements sociaux et des solidarités (UEMSS), du 23 au 26 août à Bordeaux. Pour Jean-Baptiste Jobard, membre du CAC, ces temps collectifs sont essentiels : « Appuyer sur pause, c’est politique ! ». L’occasion de prendre du recul, de renforcer les solidarités et d’imaginer d’autres possibles pour le monde associatif et la démocratie.

Le Collectif des Associations Citoyennes participe de longue date à l’Université d’été des mouvements sociaux et des solidarités. Pourquoi est-il important pour vous d’être présents à Bordeaux cette année ?
Ces temps de travail et d’échanges estivaux sont des occasions de prendre du recul et c’est très important pour nous qui répétons souvent un de nos mantras : « appuyer sur pause, c’est politique ! » (nous sommes particulièrement sensible à la définition du capitalisme par Michel Feher, un philosophe belge qui parle du capitalisme justement comme « l’empire du temps court »… d’ailleurs en parlant de Belgique et sur le même sujet, on ne saurait que trop conseiller la lecture de ce formidable numéro de la revue belge sur le temps : https://www.cultureetdemocratie.be/numeros/temps/)
Historiquement le CAC a beaucoup progressé avec ses universités d’été qui ont été des jalons dans la progression de nos analyses collectives mais les organiser demande beaucoup de travail, d’énergie et l’intérêt est évidemment de faire des ponts avec d’autres organisations proches. C’est la raison pour laquelle quand le rythme d’une fois tous les deux ans s’est mis en place pour les Université d'été des mouvements sociaux et des solidarités, les années impaires, nous avons décidé de ne pas organiser d’université d’été en propre mais de mettre nos forces et notre énergie dans cette œuvre collective qu’est l’UEMSS.
En revanche, les années sans UEMSS, les années paires, nous construisons nos propres universités d’été.
Vous organisez notamment le module « Vers des soulèvements associatifs » : qu’entendez-vous par là, et quelle perspective politique voulez-vous ouvrir avec ce terme ?
C’est assez simple en terme d’attaques contre les libertés associatives et de resserrement du nœud coulant budgétaire, l’asphyxie de nombre d’associations atteint un niveau extrêmement inquiétant et à situation exceptionnelle, mesures et réactions exceptionnelles...
Ça fait un moment que nous disons que le plaidoyer classique ne porte plus, ne suffit plus car comme le dit l’expression « il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ». Il faut donc trouver des moyens pour rendre audible, non pas tant les difficultés des associations mais surtout la manière dont ces difficultés hypothèquent notre avenir. L’enjeu de cette mobilisation que nous tentons d’initier est, basiquement, de donner la parole aux premiers concernés pour donner à voir les alternatives dont on se prive en coupant les marges d’actions des associations.
La référence aux soulèvements de la terre nous a paru évidente car, loin de l’image qu’en véhiculent des médias assez paresseux, il y a une radicalité au sens étymologique dans ce mouvement (au sens figuré comme au sens propre presque…) dans le sens où il s’agit de revenir à la racine, à la racine des problèmes. Et l’approche des soulèvements de la terre, c’est d’abord un attachement au vivant et une volonté de désarmer ce qui tue le vivant, ce renversement du schéma de l’origine de la violence nous parle beaucoup.
Lundi, vous portez aussi un atelier sur la marchandisation/démarchandisation des associations. Comment cette problématique se traduit-elle concrètement dans la vie quotidienne des associations aujourd’hui ?
Il y a une manière très simple de l’expliquer qui consiste à décrire la manière dont les associations sont poussées vers le marché de plus en plus et donc la manière dont la porosité entre sphère lucrative et non lucrative de la société s’accélère. Cette tendance est pour nous extrêmement dangereuse car pour citer un slogan fondamental chez les altermondialistes « le monde n’est pas une marchandise »… Dans la pratique, le fait de devoir, pour survivre, se conformer de plus en plus à des schémas de fonctionnement qui sont ceux des entreprises (penser « productivités », « rentabilités », « performances ») affaiblit notre capacité à concevoir un autre monde possible… qui soit un peu plus respirable (encore une fois au propre comme au figuré). Voir à ce sujet "Les associations ne sont pas une marchandise."
Ça c’est pour la manière simple le présenter les choses mais c’est un peu rapide. Pour ceux qui veulent approfondir et creuser le sujet, j’invite à se rendre sur le site de l’observatoire citoyen de la marchandisation des associations que nous avons initié avec d’autres.
Là vous y trouverez de nombreuses ressources, entre autre notre premier rapport qui décrit très finement ces processus de marchandisation et même de financiarisation du monde associatif.
Et notre second rapport, plus récent, qui s’intéresse quant à lui aux pistes de « démarchandisation » : https://observatoire.associations-citoyennes.net/?PagePrincipale
Enfin, mardi, vous proposez « 1,5 million d’assos… et moi, et moi, et moi » : qu’aimeriez-vous que les participants retiennent de cet atelier sur la place des associations dans notre société ?
Cet atelier a une importance singulière pour nous et nous l’affectionnons particulièrement car il constitue, en deux heures, une sorte de « porte d’entrée » assez pratique dans le travail du CAC (qui est assez foisonnant et riche car nous nous intéressons aux évolutions des associations dans des secteurs d’activités assez variées)
C’est un atelier très interactif où l’enjeu premier est de sortir en sachant répondre à la question « on parle souvent du « monde associatif » mais le « monde associatif » c’est quoi au juste en terme de chiffres clés, de données essentielles, de repères principaux ? »
Ce qui nous intéresse c’est une entrée très factuelle, avec par exemple des chiffres clés (l’évolution des subventions, du nombre de présidents qui sont des présidentes, des dons et du mécénats etc) pour parler de l’évolution de ces chiffres et à travers eux de la conception du rôle qu’on a et qu’on donne aux associations dans notre société. Bref on part des faits pour parler politique ! Pour parler du rôle des organisations associatives citoyennes dans la société et commencer à réfléchir de manière prospective à ce qu’on pourrait faire pour voir un renforcement du rôle des associations demain.
Pour finir on peut préciser que l'intérêt avec cette atelier, c'est qu'il s'adresse aussi bien à des spécialistes du monde associatif qui le connaissent bien et à des publics moins experts qui en savent assez peu au départ. Tout le monde y trouve son compte et il y a aussi une dimension interconnaissance entre les participant.e.s qui peut servir des dynamiques collectives par la suite, c'est arrivé que certains se revoient et donnent ensemble une suite à cet atelier, pour nous c'est une réussite quand cela se passe comme ça.
Qu’est-ce qui vous donne de la force dans ce contexte difficile ?
C’est assez simple : ce qui nous donne de la force c’est de ne pas se sentir seul ! Cela boucle avec la première question sur l’importance de ces moments de type UEMSS, nous avons besoin de faire bloc, de se sentir épaulé, de revenir aux sources motivationnelles de nos actions, de toute façon nous n’avons pas le choix, comme dit Daniel Tanuro (et c'est encore un belge !) dans son excellent livre : « il est trop tard pour être pessimiste ! »
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