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Emma Launé-Téreygeol

Théâtre : avec Dispak Dispac’h, Patricia Allo réinvente la lutte pour les droits des immigrés

La pièce Dispak Dispac’h de Patricia Allo entre dans sa troisième année de représentation. Du 21 au 29 mars, c’est la grande salle du théâtre Silvia Montfort, dans le XVe arrondissement de Paris, qui est enflammée par cette fresque engagée sur la violation des droits des personnes immigrées en Europe. Le public, chamboulé, est aussi ému. 


Un article signé Emma Lauré-Téreygeol


Légende : Une des banderoles déployées aux extrémités de la scène pendant la pièce, que le journaliste réfugié Mortaza Behboudi lit à voix haute pour clôturer la représentation.


« Percutant », « visuel », « puissant », « émouvant ». En sortant de la représentation de la pièce de théâtre Dispak Dispac’h, les spectateurs ne manquent pas d’adjectifs pour qualifier cette expérience. Au théâtre contemporain Silvia Montfort, dans le XVe arrondissement de Paris, samedi 23 mars, le public a pu assister à une représentation unique. La pièce mise en scène par l’artiste Patricia Allo, jouée depuis 2021, est à mi-chemin entre le théâtre, le débat et la danse. Elle replace le spectateur dans un contexte particulier : celui du tribunal permanent des peuples, un tribunal citoyen mené par des ONG ; dont le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) qui, en 2018, avait jugé la France et l’Union européenne coupables de « complicité de crime contre l’humanité » en vertu de leur politique migratoire.


« Agitation, révolte, révolution »

« Dispak, en breton, ça veut dire ouvert. Dispac’h, signifie agitation, révolte, révolution », attaque Patricia Allo, assise dans le public, dès le début de la pièce. Tout le monde est en effet assis sur la scène, dans des gradins formant une agora, à la manière d’un tribunal, dont l’audience fait désormais partie. « Tu vas voir, c’est une pièce très frontale », prévient un homme d’une quarantaine d’années à sa voisine, au début du spectacle. La lumière tamisée au plafond, la carte de l’Europe et du Nord de l’Afrique qui tapisse le milieu de l’Agora, les sons, la musique qui monte en puissance, tout est fait pour déconcerter le spectateur.


En 2018, Patricia Allo assiste à une session du Tribunal permanent des peuples sur la politique migratoire de l’UE. « Cette expérience avec le tribunal m’a donné envie de le prolonger sur scène. On a réactualisé l’acte d’accusation, on a inséré des exemples, car il y a une aggravation des conditions d’accueil des exilés », observe la metteuse en scène, expliquant avoir eu « besoin de créer un espace pour que les gens se rassemblent et puisent de l’énergie pour lutter ».


Légende : Théâtre Silvia Monfort, Paris, le samedi 23 mars 2024. Dans cette agora, les spectateurs font partie du tribunal, les témoins et les comédiens de la pièce sont assis parmi eux.


Des témoignages puissants


Au fil de son écriture, Particia Allo orchestre des rencontres d’exilés, de politiques, de membres de la société civile, qui deviendront les témoins de ce tribunal théâtral de 2h30 où l’acte d’accusation entier sera récité, point par point, avec les mêmes arguments juridiques et internationaux avancés à l’époque par le GISTI, un récit parfois un peu aride à écouter. « Je suis engagée, je milite, mais l’aspect juridique, je le connais très peu, donc c’était intéressant d’en apprendre plus », commente Anna, 36 ans, en sortant de la pièce.


Stéphane Ravacley, cet artisan-boulanger de l’est de la France, qui avait entamé en 2021 une grève de la faim en soutien à son apprenti guinéen alors menacé d’expulsion, fait partie de ces témoins rencontrés par Patricia Allo. Dans le spectacle, il danse et, à la fin du premier acte, une des comédiennes lui lit une lettre poignante qui émeut plusieurs spectateurs et spectatrices aux larmes. 


D’autres viennent aussi témoigner sur l’origine de leur engagement en faveur du droit des personnes immigrées, comme Gaël Manzi, le co-fondateur de l’association Utopia 56, une association française d'aide aux étrangers en situation irrégulière et réfugiés ; ou encore l’ancienne euro-députée Marie-Christine Vergiat. « On est loin d’accueillir toute la misère du monde », tonne-t-elle durant son monologue, faisant référence à la phrase prononcée par Emmanuel Macron en réponse au pape François, qui avait encouragé les pays européens à plus d'action en faveur des migrants.



« Donner de la force » au public


« Ecouter tous ces témoignages, ça remue. J’ai travaillé pour une association de soutien aux exilés et j’ai accompagné un jeune qui avait fait la traversée à seulement 19 ans, alors ça parle de choses qui me touchent », s’émeut Anne-Claire, 26 ans, en sortant de la pièce. Elle n’est pas la seule. « Beaucoup de personnes qui viennent voir la pièce partagent nos engagements. C’est plutôt une création qui voudrait leur donner de la force », relatait ainsi Patrica Allo quelques semaines avant la représentation.


Ces témoignages tranchent avec la mise en scène métaphorique du premier acte. Comme lors d’un vrai tribunal, il y a des preuves. La trajectoire d’un bateau où soixante Libyens tentant de rejoindre l’Italie ont péri est représentée sur la carte au sol. Comme pour figurer leurs souffrances, un comédien, affublé d’un gilet pare-balles, de protège-genoux et d’un casque, se met a danser frénétiquement sur une musique de percussion rappelant le bruit de tirs d’armes à feu. Il tombe au sol à plusieurs reprises, et aussi dans le public, qui parfois le rattrape, parfois est effrayé. La symbolique apparaît tout de suite.


« La pièce montre que nous faisons autant partie de la solution que du problème »

lance Erica, 42 ans, une spectatrice venue « grâce au bouche-à-oreille ».


Dans le théâtre résonne en dernier le témoignage de Mortaza Behboudi, journaliste réfugié d’Afghanistan, à la rue lors de son arrivée en France. Sa voix candide raisonne dans l’agora lorsqu’il termine le spectacle par ces mots prononcés dans sa langue natale : « Nous détruirons les centres de rétention, liberté de circulation pour tous.tes ». La porte du théâtre se referme sur ces mots, laissant le public réfléchir sur ce que la création de Patricia Allo leur aura fait ressentir. Les témoins de la pièce repartent main dans la main, plus soudés que jamais.


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