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1001 territoires pour la fraternité : la société civile passe à l’offensive

de Nicolas Bigards


Mardi 16 décembre, à Paris, près de quarante organisations associatives et syndicales ont lancé une dynamique nationale inédite. Leur conviction : face à la banalisation des idées d’extrême droite, la réponse ne peut plus se limiter aux échéances électorales. Elle doit s’ancrer dans les territoires, dans les pratiques quotidiennes de solidarité, de culture et d’éducation populaire.


Les représentant·es d’une quarantaine d’organisations nationales associatives et syndicales ont tenu une conférence de presse.
Les représentant·es d’une quarantaine d’organisations nationales associatives et syndicales ont tenu une conférence de presse.

Ils et elles n’étaient pas là pour commenter l’actualité ni pour réagir à chaud. Mardi 16 décembre, au CISP Maurice-Ravel, dans le 12ᵉ arrondissement de Paris, les représentant·es d’une quarantaine d’organisations nationales associatives et syndicales ont tenu une conférence de presse de quarante minutes, sans questions, pour affirmer une stratégie collective. Une parole maîtrisée, assumée, qui tranche avec l’agitation médiatique habituelle : la société civile ne se résigne pas, elle s’organise.


Le nom de cette dynamique — 1001 territoires pour la fraternité — dit déjà l’essentiel. Il ne s’agit pas d’un appel abstrait ni d’un slogan de circonstance, mais d’un projet politique au sens noble : faire société, partout, à partir du réel.


De juillet 2024 à aujourd’hui : sortir de la logique du sursaut


Le point de départ est clair. En juin-juillet 2024, alors que l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir semblait annoncée, une mobilisation massive et souvent spontanée de la société civile a contribué à inverser une dynamique présentée comme inéluctable. Partout sur le territoire, associations, syndicats, collectifs citoyens ont appelé à voter, à débattre, à ne pas céder à la résignation.

« On disait impossible un report massif des voix face à l’extrême droite. Pourtant, c’est un mouvement puissant qui s’est exprimé », rappellent les organisations signataires.


Mais ce sursaut a aussi montré ses limites. Attendre la prochaine élection pour « faire barrage » ne suffit plus. La banalisation des idées de l’extrême droite, leur diffusion dans le débat public comme dans les pratiques quotidiennes, appellent une réponse de fond.


C’est ce basculement stratégique qui est acté aujourd’hui : passer de la riposte électorale à une offensive culturelle et sociale de long terme.


La fraternité comme fait social, pas comme incantation


Pour Mickaël Huet, directeur général du Mouvement associatif, l’enjeu dépasse largement la défense du monde associatif.« La question, ce n’est pas seulement la place des associations. C’est notre capacité collective à faire démocratie. »


Dans son intervention, il rappelle une évidence trop souvent oubliée : les associations sont des infrastructures démocratiques invisibles. C’est là que s’apprennent le débat, le désaccord, la coopération, le respect de l’autre. Et partout où l’extrême droite progresse, ces espaces sont attaqués, discrédités, asphyxiés financièrement.


« Quand on fragilise la vie associative, on fragilise les contre-pouvoirs démocratiques. Face à cela, nous avons fait le choix de ne pas rester dans la défensive. De dire non pas seulement “contre”, mais “pour”. »


Pour la fraternité. Pour la solidarité. Pour le faire ensemble.


Une alliance large, lucide, sans naïveté


La force de 1001 territoires pour la fraternité tient aussi à la diversité des acteurs engagés : syndicats, associations d’éducation populaire, organisations de jeunesse, mouvements de solidarité, réseaux culturels. Une alliance qui ne gomme pas les désaccords, mais qui assume un socle commun.


Laurent Escure, secrétaire général de l’UNSA, insiste sur cette lucidité nécessaire :« Quand on a 50 % des ouvriers et employés qui votent pour le RN, quand un prof sur quatre vote RN, on ne peut pas se raconter d’histoires. Le danger n’est plus caricatural. Il est diffus, parfois compatible avec des pratiques solidaires en apparence. »


C’est précisément cette complexité qui impose un travail de fond. Pas seulement pour « convaincre les convaincus », mais pour recréer du lien, semer le doute, rouvrir des espaces de dialogue là où ils ont disparu.


Jeunesse, éducation populaire, culture : le terrain décisif


Pour Suzanne Nijdam, présidente de la FAGE, l’enjeu est aussi générationnel.« On décrit sans cesse les jeunes comme désengagés. C’est faux. Ils s’engagent autrement. Mais ils ont besoin d’espaces de débat, d’actions concrètes, d’horizons désirables. »


Même constat du côté de la Ligue de l’enseignement. Sa présidente, Hélène Lacassagne, rappelle que l’éducation populaire n’est pas un supplément d’âme, mais une condition de la démocratie.« Un peuple ignorant est un peuple esclave. Les associations sont des creusets de citoyenneté. »


Face à la concentration des médias, à la diffusion massive de discours racistes, climatosceptiques ou complotistes, la réponse ne peut pas être uniquement institutionnelle. Elle doit s’incarner dans des expériences vécues, partagées, locales.


Des territoires déjà en mouvement


Contrairement à ce que pourraient laisser croire certains discours médiatiques, cette dynamique n’est pas un projet hors-sol. Elle s’appuie sur des initiatives déjà existantes, partout en France et en outre-mer.


À Guipavas, dans le Finistère, les 60 ans de l’Amicale laïque ont été l’occasion d’un temps fort mêlant mémoire, engagement citoyen et transmission des valeurs de l’éducation populaire.


À Martigues, la MJC porte des projets culturels comme « Un sourd en politique » ou « L’Art Scène », où la création artistique devient un espace de débat, d’expression et de rencontre.


En Guadeloupe, Migrant’Scène, porté par La Cimade, associe jeux, expositions et concerts pour aborder les questions migratoires autrement, dans une logique d’hospitalité et de fraternité vécue.


Autant d’actions modestes en apparence, mais décisives : ce sont elles qui fabriquent du commun, loin des plateaux de télévision et des discours anxiogènes.


2025–2027 : changer d’échelle sans perdre le sens


L’ambition est désormais clairement posée. Dès l’automne 2025, la dynamique entend fédérer et soutenir des initiatives collectives dans une vingtaine de départements, avant un changement d’échelle au printemps 2026, puis une généralisation progressive jusqu’en 2027.


Le tout en totale indépendance des partis politiques, rappellent les organisations signataires. Non par désintérêt pour le politique, mais parce que leur rôle est ailleurs : créer les conditions sociales, culturelles et démocratiques qui rendent possible un autre avenir.


Une bataille culturelle déjà engagée


Le fait que Le Moment, avec e.pop, ait été le seul média présent à cette conférence de presse n’est pas anecdotique. Il dit quelque chose de la difficulté, encore, à rendre visibles ces dynamiques de fond. Mais il dit aussi leur nécessité.

La bataille culturelle face au repli sur soi et à la haine de l’autre est déjà engagée.


Elle ne se gagnera ni par des incantations ni par des coups médiatiques. Elle se joue dans les territoires, dans les associations, dans les syndicats, dans les gestes ordinaires de fraternité.


Cette fois, la société civile ne se contente pas de résister.Elle passe à l’offensive.


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