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Photo du rédacteurDanae Moyano Rodriguez

Inti à cœur ouvert et avec un accent sudaca*

Un cœur humain rouge vif sur un fond de têtes de mort… entre la vie et la mort, comme une opération à cœur ouvert. C’est ainsi que s’ouvre l’exposition d’Inti, street-artiste chilien qui peint des fresques monumentales dans le monde entier. L’exposition est à découvrir à la galerie Itinerrance jusqu’au 25 novembre 2023.


Article de Danaé Moyano Rodriguez

Photo de Danaé Moyano Rodriguez, Inti à la galerie Itinerrance, Paris 2023


Inti fait partie de ces artistes auxquels la peinture de rue a apporté une telle notoriété que ses toiles se vendent désormais à 25 000 euros. Sa dernière exposition à la galerie Itinerrance, galerie qui joue un rôle majeur dans l’entrée du street-art dans le marché de l’art contemporain, avait comme un air de couronnement.


Vendredi soir, dans une galerie pleine, malgré une présence importante de Latino-américain.es, la diversité du public présent est révélatrice d’une réputation qui a dépassé les limites d’une niche. La galerie se remplit de plus en plus, et, pendant ce temps, Inti prend le temps de dédicacer le livre de l’exposition. Une première rétrospective ? Quelque chose du style, avec des esquisses de ses fresques exposées sur un grand mur blanc et vendues à 1 200 euros pièce. C’est en quelque sorte l’histoire de sa carrière de street-artiste, exposée sur un mur.


Cela fait déjà quelques années que Inti a décidé de s'éloigner des rues pour passer plus de temps dans son atelier. Pourquoi quitter la rue ? Parce que peindre des fresques commanditées par des institutions publiques est peut-être devenu un peu trop mainstream pour celui qui s’est toujours inscrit dans la ligne du muralisme social du milieu du 20ème siècle caractérisée par les peintres mexicains Diego Rivera et David Alfaro Siqueiros ou encore Laureano Guevara au Chili. Dans les principes du muralisme social, le rôle de l’artiste est la transmission d’un message politique. Son art est le moyen qui lui permet d’y parvenir. Sorties de la rue, les fresques d’Inti sont-elles toujours aussi engagées socialement et politiquement ?


En franchissant la porte de la galerie Itinerrance, on découvre une citation du penseur uruguayen Eduardo Galeano qui nous fait penser que la tradition muraliste et l’engagement sont bien là : “A cet âge-là, nous sommes tous païens, nous sommes tous poètes.” Pour quelqu’un qui décrit son art comme relevant d’une forme de syncrétisme religieux, les païens représentent un nouveau terrain de jeu. Une nouvelle signature et une palette de couleurs retravaillée et adoucie témoignent d’une forme de maturité. Ce sont toujours les couleurs qui caractérisent l’œuvre d’Inti mais travaillées autrement, peut-être le début d’une nouvelle facette de l’artiste.


Photo de Danaé Moyano Rodriguez, Inti à la galerie Itinerrance, Paris 2023


S’en suit une réflexion à propos de la jeunesse. Inti semble être arrivé à cet âge où l’on commence à sentir notre jeunesse céder la place à autre chose. Ce moment où, pour la première fois, on réalise qu’il y a des limites à tout, y compris à notre jeunesse. Je discute rapidement avec lui lorsque je lui demande de signer mon livre. Il se moque de mon accent espagnol qui perdu sa tonalité chilienne. Il me rappelle par la même occasion que c’est en préservant la spécificité de nos accents qu’on permet aussi aux autres d’apprendre de nos façons de dire… C’est peut être ça aussi, qu’il fait avec son art. Cela fait des années qu’il vit en Europe, qu’il peint des fresques dans le monde entier, mais son art a toujours un accent sudaca. C’est un art chargé symboliquement qui me touche personnellement parce qu'il est tellement latino-américain, tellement chilien. On voyage, on migre, on perd nos accents… Mais le bagage culturel sera toujours plus fort que nous-mêmes.


Il est presque surpris de voir que j’ai compris ce qu’il a voulu raconter. Peut-être que c’est parce que moi aussi j’arrive à cet âge où je questionne ma jeunesse. Ou peut-être que c’est tout simplement parce que cette tradition muraliste latino-américaine, dont il est issu, a cette capacité à dépasser les frontières de l’espace et du temps, comme dirait Galeano, pour nous permettre de retrouver nos histoires et nos parcours dans l’art.


24bis boulevard du Général Jean Simon

75013 Paris


*sudaca : manière péjorative de dire “latino”, resignifiée par certaines catégories de la population latino-américaine pour en faire un usage positif et revendicatif.

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