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Les ateliers du 6B : quand l’art se raconte simplement


Samedi 27 octobre ont eu lieu les portes ouvertes des ateliers du 6B. Ce lieu culturel et associatif situé à Saint-Denis, en région parisien, héberge 200 artistes, qui partagent à cette occasion leurs projets avec le public. On découvre des ateliers dans lesquels chacun exprime son engouement créatif d’une façon singulière. Au 6B, bien loin d’une vision élitiste, l’art fourmille et se raconte, sans grands discours.


Article et photo de Radidja Cieslak

Zhifang Tang


Le lieu se situe sur une zone industrielle, en plein cœur de Saint-Denis. De l’extérieur, il ne paye pas de mine. Il faut pénétrer dans une cour entourée de parcelles de végétation en friche. Puis, les lumières attirent l'œil, et l’on pénètre dans un lieu animé où des bénévoles se pressent dans les couloirs. Ce samedi 27 octobre, pour la seule fois de l’année, les 200 artistes présents au 6B ouvrent leurs ateliers. Installés au deuxième étage, ceux-ci laissent les portes de leur atelier nonchalamment entrouvertes. Le lieu ressemble à une zone en rénovation, le sol de béton est maculé de tâches d’encre, les murs de placo blancs sont couverts de fresques et de tags aux couleurs criardes.


Au bout du couloir de l’aile A se niche l'atelier de François Briand, artiste plasticien. Il réside ici depuis 2020, après une formation de verrier et les Beaux-Arts de Nantes. Pour intégrer le 6B, il a dû réaliser une candidature et s’entretenir avec des résidents du lieu. En effet, le lieu n’est pas exclusivement composé de ces ateliers. “Ce n’est pas un endroit concentré sur les arts plastiques. On accueille des gens qui sont intéressés par plusieurs domaines. Ça va du jardin partagé, aux zones d’habitation, jusqu’aux ateliers. Et c’est cette diversité qui fait l’identité du 6B.” Le vivre-ensemble est primordial.


Pas présenter l'artiste comme une forme d'élite

Et en ce jour de portes-ouvertes, l'artiste prend d'ailleurs le temps d'expliquer son travail au public présent. C'est une série de sculptures lumineuses, composées de verre, sous la forme de mousse, de lumières soufflées ou encore de fils tirés. “Les objets ont une structure de micro-organisme. C’est l’image d’une vie en devenir.” François tient à présenter avec clarté son œuvre. “C’est important de ne pas présenter l’artiste comme une forme d’élite”, explique-t-il. C’est en effet ce que prône le 6B, qui, depuis sa création en 2010, n’a eu de cesse de travailler à ce “vivre ensemble”, comme on peut le lire sur son site internet.


Un peu plus loin se trouve l'atelier de Zhifang Tang, artiste peintre, qui partage ses nombreux savoir-faire. “Je fais de la calligraphie, de l’ikebana (art de la composition florale), de l’origami.” Son parcours de formation se déroule entre l’Europe et l’Asie. Après avoir fait les Beaux-arts à Wuhan, elle s'est formée à l’ikebana à la Maison du Japon à Paris. Et elle a très à cœur de contribuer au fonctionnement du lieu. “Quand je suis arrivée, il n’y avait pas encore de jardin partagé, ce qui m’intéresse justement.”


“J’aime beaucoup ce lieu, cette diversité, c’est très enrichissant"

Sa formation à l'ikebana lui permet de contribuer à la conception du jardin. “J’aime beaucoup ce lieu, cette diversité, c’est très enrichissant.” Le 6B revendique ce travail collectif et met en place des initiatives sociales et solidaires, auxquelles les artistes peuvent prendre part.

Dans l'atelier voisin, l’artiste Yu Zhao, raconte qu’elle y participe : “Il y a des cours pour enseigner le français aux migrants, et j'enseigne le dessin et la calligraphie. C’est vraiment chouette.” Yu considère que ces échanges “ouvrent des horizons”. C’est aussi à l’image de ses œuvres, abstraites et bardées de couleurs vives : “Il y a la place pour l’interprétation. On peut y voir des éléments naturels, des créatures fantastiques…” C’est un terrain de découvertes incessantes.


La médiation avec le public est aussi primordiale. Les œuvres d’Evantias Chaudat, des photographies d’éléments naturels, ont une vocation presque pédagogique. “J'essaye de sensibiliser les gens par mon travail. Montrer la nature à toutes ces échelles peut nous permettre de nous en sentir plus proche. Je ne le fais pas avec le discours, mais avec les sensations.”

Elle explique que les éléments naturels l'inspirent, l’infiniment petit et l’infiniment grand. “J’ai besoin de ce sentiment d’appartenir à un tout, et je pense qu’on en a tous besoin.” Avant, elle travaillait dans son petit appartement, dans lequel il était difficile de distinguer le professionnel du personnel. Mais désormais, elle cohabite avec les 200 résidents, et dit appartenir à un grand tout artistique.


Partager un atelier, c'est mieux

En effet, cette “résidenthèque” est aussi propice aux échanges d’idées entre les artistes eux-mêmes. Dans l’atelier qu’il partage avec des amis artistes, Kôichi Nabeshima réutilise les techniques originelles du cinéma : la bobine, la caméra argentique. “C’est à l’opposé du cinéma industriel. Je m’intéresse à la dimension esthétique, avec les effets de lumière.” Sur la petite télévision sortie des années 90, il y a une image en noir et blanc qui s’anime inlassablement.


Juste à côté, son colocataire d’atelier Yacine Gouaref, dit Hyacinthus, expose ses gravures et ses illustrations à l’encre de Chine. Kôichi aime l’émulation que permet la cohabitation. “Après, il faut s’adapter avec les différentes personnes qui vivent ici. Dans l’atelier, on a assez de place. De temps en temps, on se croise pour échanger.”


Quant à Yacine, il ne souhaite pas travailler seul. “Je préfère partager un atelier, ça nous permet d’échanger sur nos projets… Puis on se laisse chacun un espace.”

Le projet du lieu de décloisonner l’art semble fonctionner. Ces dernières années, les critiques d’art, chercheurs et journalistes se demandaient pourquoi le public semblait si rebuté par l’art contemporain. En 2018, France Info s'interrogeait : “Cher, moche et incompréhensible, l'art contemporain ?”


C’est en effet un reproche récurrent. Les discours conceptuels et les explications opaques qui l'entourent seraient dur à comprendre. Or, au 6B, le mystère semble se dissiper. En entrant dans l’atelier, on rend visite aux artistes qui acceptent volontiers d’expliquer leur travail. C’est une découverte, simple et sans grand discours, ou le partage est indispensable.

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